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à charger la mémoire de ce triste personnage d’un crime de plus. Le nom d’André était porté sur les listes de la conspiration de Saint-Lazare, et dès lors son sort était fixé. Rien ne prouve péremptoirement que c’est à l’instigation de Barère que le nom d’André ait été introduit deux jours auparavant sur une liste supplémentaire par le président de la commission de police, Herman ; rien ne prouve non plus le contraire. Laissons donc ce premier fait dans l’indécision où il demeurera sans doute éternellement. Laissons à la responsabilité collective du comité, en attendant un plus ample informé, l’odieuse pensée qui envoya André Chénier à la mort. « Les conspirations des prisons, nous dit le dernier historien de la Terreur, servaient à englober tous ceux dont on voulait se débarrasser sans motif suffisant. » Or, parmi les membres du comité de salut public, combien s’étaient sentis cruellement atteints par la parole ardente ou le vers enflammé d’André, depuis Robespierre, dénoncé comme l’ami des quarante galériens de Châteauvieux, jusqu’à Collot-d’Herbois ! Barère, après son discours emphatique et ridicule du 7 pluviôse an II, avait été l’objet particulier des railleries d’André, qui mettait sous les yeux des Muses indignées


Le sot fatras du sot Barère.


Plusieurs fois, avec une prédilection fatale, ce nom revenait sous sa plume et probablement aussi dans ses conversations, à Paris, à Versailles, très certainement dans la prison, remplie de délateurs. En fallait-il davantage pour le désigner aux rancunes du comité, unanime à proscrire un pareil adversaire ? En définitive, quelqu’un a tué André Chénier. Est-ce Robespierre ? Collot-d’Herbois ? Couthon ? Barère ? Il importe peu, et j’inclinerais à croire que tous se sont trouvés d’accord sur ce point ; mais, à supposer que Barère n’ait pas eu de part directe et personnelle dans cette désignation, pouvait-il l’ignorer ? Pouvait-il ne pas savoir, quand il reçut là visite du père, que le nom du fils était porté sur la liste ? Il ne s’agissait pas d’un inconnu, du premier venu. Le feuillant de 1791, l’adversaire des jacobins, le frère du conventionnel Marie-Joseph, un nom pareil, en quelque temps que ce soit, ne passe pas obscurément. Recueillons un témoignage autorisé qui détermine très exactement la part des responsabilités. « Spécialement pour la conspiration des prisons, cette nouvelle forme d’égorgement.des prisonniers avec l’hypocrisie légale, Fouquier-Tinville démontra plus tard d’une manière accablante qu’il n’avait été que l’exécuteur des ordres du comité de salut public. C’est le comité qui lui commandait ces exécutions en masse au-delà même de ce qu’il avait fait ; c’est le comité qui, par les arrêtés du 2 et du 3 thermidor, lui