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communication à personne dans sa famille. Après avoir raconté sommairement les circonstances de l’arrestation d’André, il expose que « le citoyen André Chénier est un patriote dont la vie fut toujours irréprochable, qu’il se fit connaître et s’attira des inimitiés honorables par la franchise et le courage avec lesquels il dénonça, comme des intrigans, Brissot, Pétion, Manuel, Danton, sur lesquels son opinion est devenue l’opinion générale… Sous l’ancien régime comme sous le nouveau, il a vécu loin de toute ambition, dans l’étude et la retraite… Le soussigné, âgé de soixante-douze ans, reconnu pour très bon citoyen à la section de Brutus, soumet ces observations à la commission. Il espère qu’elle approuvera les représentations d’un père irréprochable qui réclame un fils irréprochable et privé depuis trois mois de la liberté qu’il n’a jamais mérité de perdre. » Cette requête était à la fois touchante et maladroite. Elle était fort vive contre le citoyen Gennot, du comité de Passy ; elle rappelait les luttes ardentes soutenues par André Chénier dans les manifestes de la Société de 1789 et dans le Journal de Paris ; sans doute elle ne visait que les noms de Brissot, de Pétion, de Manuel, de Danton, mais quel naïf avait pu oublier la polémique contre les jacobins et spécialement contre Collot-d’Herbois à l’occasion de la fête des Suisses de Châteauvieux ? On s’exposait à réveiller de bien dangereuses impressions dans ces mémoires implacables où s’éternisait la rancune.

La commission populaire était, on le sait, en relations permanentes avec le comité de sûreté générale, dont elle devait prendre l’avis pour la mise en liberté des suspects les moins dangereux. Peut-il être douteux que ce ne soit par cette commission que le comité a été instruit de la détention d’André, et qu’ainsi l’imprudent Mémoire n’ait été la cause ou l’occasion de l’arrêté qui ordonna une inscription nouvelle et plus régulière de l’écrou ? Tous les élémens d’information de cette triste histoire s’enchaînent dès lors avec la vraisemblance qui sort d’une série de faits concordans et d’inductions liées entre elles. On ne peut nous opposer la date du Mémoire, il n’y en a pas ; on peut nous opposer tout au plus le fait affirmé dans le Mémoire d’une captivité qui a déjà duré trois mois. D’après la date probable que nous assignons ici à l’envoi du Mémoire et qui serait dans notre pensée un des premiers jours de prairial, il n’y aurait eu que deux mois et demi d’intervalle entre l’arrestation d’André et la requête. Nous ne pensons pas qu’on insiste sur un si faible écart. Dix semaines de détention peuvent bien s’appeler trois mois sous une plume éplorée. Un autre fait attesté par la tradition de la famille trouvera tout naturellement sa place ici. M. de Chénier, confiant dans l’effet de son Mémoire, allait chaque matin à la prison en attendre le résultat. Quel ne fut pas son désespoir lorsque le