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En dépit de Fouquier[1], soyez lents à me suivre.
         Peut-être en de plus heureux temps
J’ai moi-même, à l’aspect des pleurs de l’infortune,
         Détourné mes regards distraits ;
À mon tour aujourd’hui ! mon malheur importune :
         Vivez, amis, vivez en paix !

Quoi de plus navrant que ce dernier cri à ses amis absens, oublieux peut-être ? Non assurément, ils n’oubliaient pas ; que pouvaient-ils ? Le mot d’ordre du silence était donné : c’était le salut ; mais comment André aurait-il pu échapper à cette lassitude des jours qui se succèdent et des heures qui passent, mornes, monotones, sans changement, sans espoir ? Que voulez-vous ? à trente ans on n’est pas ce stoïque aux yeux secs qui vole embrasser la mort. Il fut stoïque quand il fallut mourir, c’est assez.

On comprend, dans l’énervement d’une captivité indéterminée, sans issue à prévoir, quel retour le poète devait faire sur la vie de son frère, comblée, en apparence au moins, de bonheurs, de succès bruyans au théâtre, de popularité dans la rue et les clubs, en la comparant avec la sienne, qui depuis quatre ans était une vie de lutte, d’impopularité croissante, de persécutions odieuses. Les trois dernières strophes, jusqu’ici inédites, de l’ode à Marie-Joseph, confirment pleinement, bien qu’on en dise, l’interprétation qu’on avait donnée de ce petit poème. Ce n’est pas, si l’on veut, de l’ironie, c’est au moins un parallèle mélancolique entre deux existences et deux destinées. Peut-être en écrivant ces vers André ne se rendait-il pas bien compte des angoisses, des hontes secrètes, des tortures de tout genre dont Marie-Joseph avait acheté son triste bonheur.


Mon frère, que jamais la tristesse importune
         Ne trouble ses prospérités !
Qu’il remplisse à la fois la scène et la tribune :
         Que les grandeurs et la fortune
Le comblent de leurs biens qu’il a tant souhaités !

Cette strophe était connue. Voici où commence la partie inédite. André se réfugie au sein de cette famille nouvelle que le malheur lui a créée :


         Infortune, honnêtes douleurs,
Souffrance, des vertus superbe et chaste fille,
         Salut. Mes frères, ma famille,
Sont tous les opprimés, ceux qui versent des pleurs,
Ceux que livre à la hache un féroce caprice,
         Ceux qui brûlent un noble encens
Aux pieds de la vertu que l’on traîne au supplice,
         Et bravent le sceptre du vice,

  1. Le nom est en blanc sur le manuscrit.