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sachet noir, et qu’ayant mêlé de l’eau à ce contenu, il l’avait avalé précipitamment. Il y eut alors un moment de silence, puis quelques pas, puis un silence plus long ; l’empereur s’était recouché. Ces choses s’étaient passées si vite qu’elles avaient devancé les conjectures du valet de chambre. Incertain, terrifié, se reprochant de ne rien faire s’il avait deviné juste, craignant d’offenser son maître par une inquiétude hors de propos, Hubert resta une demi-heure derrière cette porte entr’ouverte, immobile, attentif au moindre bruit, épiant un mot, épiant un souffle. Pendant ce temps, Napoléon, étonné de vivre encore, attendait impatiemment l’effet du poison qu’il venait de prendre. Il est probable qu’il en soupçonna l’inefficacité d’après quelques symptômes douloureux, mais faibles ; il est probable aussi qu’il recourut à un autre moyen du même genre, supposant qu’il aurait plus de force. Il portait depuis 1812 un cachet renfermant un poison de nature subtile, préparé, dit-on, par Cabanis. Ce cachet, de même que le sachet noir, fut trouvé ouvert et vide non loin de son lit. Tous ces détails paraissent hors de doute ; c’était M. de Turenne qui en 1812 avait fait disposer ce cachet par ordre de l’empereur, et M. de Turenne, qui était de service à Fontainebleau pendant cette nuit du 12 au 13 avril 1814, a dit lui-même à Ségur combien il avait été frappé de voir ce cachet ouvert près de l’empereur, quand il vint le secourir. Enfin « fatigué de souffrir sans finir, et sentant jusqu’à cette dernière ressource de son désespoir lui échapper, » il fait appeler Yvan. Yvan arrive, l’empereur prononce quelques mots au milieu de spasmes pénibles, et aussitôt Hubert, toujours placé derrière la porte à demi fermée, entend s’élever une vive contestation. Il est impossible d’en méconnaître le sens : l’empereur demande au docteur de lui donner un poison plus rapide ; Yvan se récrie, s’indigne, fait appel au courage de l’empereur, le supplie de prendre au plus tôt du contre-poison, proteste enfin avec véhémence contre les calomnies auxquelles il va être exposé, lui, le serviteur dévoué de Napoléon ! On l’accusera d’avoir empoisonné son maître ! on l’accusera d’avoir été payé pour cela par les ennemis de l’empereur et de l’empire ! Ces derniers mots touchent l’empereur ; il se laisse soigner par Yvan, il consent à prendre un vomitif, et bientôt après de fortes crises le poison est rejeté.

Durant ce colloque, la nouvelle s’est répandue dans le palais. Caulaincourt, Duroc, Maret, Turenne, entourent le lit de l’empereur. D’autres officiers arrivent. Toute la maison impériale est sur pied ; on entend des gémissemens et des sanglots. Enfin, après une longue crise, on apprend qu’un assoupissement profond suivi d’une sueur abondante a dégagé la vie du patient. Le danger ayant