Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

renvoya, rappela son valet de chambre, tantôt lui redemandant de la lumière, tantôt la lui faisant remporter et s’irritant contre l’agitation qui le consumait. » Vers cinq heures du matin, il rappela Constant une dernière fois, et comme celui-ci, accablé de fatigue, arrivait en chancelant, il lui adressa quelques paroles bienveillantes, lui promettant un repos prochain qui durerait de longues années. Constant, tout ému d’abord, répondit que personne ne pouvait se plaindre de fatigues partagées par un tel maître ; puis, s’armant de courage, il osa dire qu’en effet le désir et l’espoir de la paix étaient universels. À ce mot de paix, Napoléon, tout à l’heure si attendri, ne put se contenir : « Eh bien ! oui, s’écria-t-il rudement, on aura la paix. On la veut, on l’aura ! et l’on verra ce que c’est qu’une paix déshonorante ! »

Deux heures après, dans la matinée du 9 février, arrive un officier du duc de Raguse, porteur de nouvelles décisives. Marmont, qui commande notre aile gauche, et qui a quitté Nogent dans la journée du 7, fait savoir à l’empereur la marche de Blücher. Les quatre corps d’armée du général prussien s’avancent vers Paris à grands pas et à grands intervalles. Napoléon avait prévu cette faute, et c’était comme une chance suprême sur laquelle il comptait, mais il ne pensait point que Blücher osât dédaigner sa détresse au point de passer à portée de ses coups. Quoi ! Blücher est là, Blücher avance sans s’inquiéter de savoir si Napoléon lui barrera le chemin ! Ah ! c’est trop d’insolence. Aussitôt comme bondissant sous l’outrage, le vaincu, déjà couché à terre, ressaisit le tronçon de son épée. « Il succombera peut-être, mais non sous ce coup de pied prussien. » Il court à ses cartes et, le compas en main, il mesure les distances. Des épingles à tête de cire de couleurs différentes jalonnent et les points occupés par l’ennemi et les routes que l’empereur veut suivre. Ici sont les points qu’il faut garder, là ceux qu’il attaquera. L’échiquier se dessine, le plan se dégage, en voilà pour plusieurs jours de manœuvres victorieuses. Il était tout entier à ce travail quand le duc de Bassano vint présenter à sa signature des missives destinées à Paris et à Châtillon ; c’étaient les dépêches pacifiques, les dépêches résignées, que le ministre avait passé la nuit à rédiger en s’autorisant de ses dernières paroles. « Ah ! vous voici, lui crie l’empereur, que m’apportez-vous là ? Il s’agit de bien autre chose ! vous me voyez en train de battre Blücher. Il s’avance par la route de Montmirail ; je le battrai demain ! je le battrai après-demain ! la face des affaires va changer, et nous verrons ! Ne précipitons rien ! il sera toujours temps de faire une paix comme celle qu’on nous propose ! »

Et ce qu’il dit, il le fait. Demain, c’est Champaubert ;