Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’immense sierra, serait évidemment de suivre le cours des grands fleuves voisins, de passer du Béni dans le Madeira, de celui-ci dans l’Amazone, et de ne prendre la voie de mer qu’à Para. Malheureusement on a reculé jusqu’ici et devant la crainte qu’inspirent les hordes sauvages des contrées intermédiaires, et devant les difficultés de navigation que présente le Haut-Madeira. Comment affronter habituellement avec une cargaison précieuse, en compagnie d’une douzaine d’Indiens et de métis assez peu sûrs, les périls et les aventures de ce voyage transcontinental ? Cet essai de révolution commerciale a cependant été tenté et avec succès dans ces derniers temps par un habitant de la Paz. Il s’agissait, dit M. Keller-Leuzinger, d’un approvisionnement de cascarille de la valeur de quelques centaines de mille francs récolté dans la sierra d’Apolobamba. Sans descendre directement le Béni jusqu’au confluent, la marchandise alla sur de légers radeaux de flottage jusqu’à la mission de Reyes ; de là, sur des chariots à bœufs, elle franchit les campos au point de partage des eaux du Béni et du Mamoré, gagna ainsi le Jacuma, un affluent de ce dernier fleuve, puis, à l’ancienne mission de Santa-Anna, on la chargea sur des canots qui la transportèrent par le Mamoré, le Madeira et l’Amazone jusqu’au port de Pará. Les frais d’expédition ne se montèrent qu’à la moitié de ceux qu’il aurait fallu payer par la voie d’Arica. Il est donc hors de doute que, dès que le chemin de fer du Madeira sera construit, toute la cascarille ira en Europe par la vallée de l’Amazone et non plus par l’interminable et dangereux circuit du cap Horn. Les produits apportés d’Europe suivront la même voie sans qu’il soit besoin de les émietter, comme l’on fait aujourd’hui sur les rares canots qui se hasardent par les rapides, en une multitude de petits colis d’un poids moyen. Que d’avaries seront ainsi évitées ! Et quel bénéfice pour le Brésil, qui cessera de voir une partie de son trafic passer par le port d’Arica, et n’aura plus à payer maints droits énormes au gouvernement péruvien ! La Bolivie n’y gagnera pas moins de son côté. Seulement, pour en revenir au quinquina, comme l’ouverture de la nouvelle voie en accroîtra sensiblement l’exportation, les calysaias surmenés de la Cordillère se trouveront dans la même situation que les seringaes du Madeira : il faudra que les Boliviens se hâtent de parer par une culture et un aménagement bien entendus au dépérissement de l’essence précieuse. Quant aux rives mêmes du Béni, elles doivent être d’une extraordinaire fécondité, si l’on en juge par les quantités de troncs gigantesques que cette rivière charrie au temps de la crue. Ces bois flottans seront pour toute la région inférieure la source d’un riche trafic et l’aliment d’innombrables scieries de plus en plus assurées d’un débit continu tout le long du Madeira et