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ailleurs, à surface pareille, tant de cours d’eau s’écoulant en des sens divers, des rivières mieux alimentées, plus dociles à l’art des ingénieurs, — entre les bassins fluviaux, des faîtes plus faciles à franchir, — aux sources des ruisseaux, des montagnes moins escarpées? Sans doute la Loire roule trop de sable, le Rhône a trop de fougue, la Seine déborde trop souvent; mais nos fleuves soutiennent à leur avantage la comparaison avec ceux des contrées voisines. C’est que notre sol a le relief qui convient pour que les eaux conservent presque partout une vitesse d’écoulement utile. Veut-on s’en rendre compte, que l’on imagine une plaine basse, comme celles de la Hongrie ou de la Russie centrale, en place de l’Auvergne et du Limousin, la Loire divaguerait au milieu des marécages comme la Theiss ou le Dnieper; que l’on remplace au contraire le plateau de la Brie ou les terrains mamelonnés de la Champagne par une petite Suisse aux flancs abrupts, Paris y gagnerait en pittoresque, mais ce ne serait pas une grande capitale, car la Seine deviendrait un torrent impétueux après quelques jours de pluie. Et de même pour chacun de nos fleuves et pour chacune de nos rivières : les défauts qu’on leur reproche se montrent à nos yeux en d’autres pays amplifiés au point d’être des vices irrémédiables.

De tous les phénomènes naturels dont nous avons ici-bas la jouissance inconsciente, il n’en est pas de plus admirable ni de plus utile que la circulation des eaux entre la terre et l’atmosphère. Les vapeurs que la chaleur solaire fait surgir de l’Océan, chassées par les vents, viennent s’épandre en pluies sur les montagnes ; de là, les eaux redescendent suivant la pente du sol jusqu’à la mer, d’où elles étaient sorties. L’homme ne commande ni à la chaleur solaire ni aux vents; sa puissance ne va pas jusque-là; mais les eaux courantes lui appartiennent, à lui d’en disposer pour son plus grand profit. Nous nous en sommes bien peu servis jusqu’à ce jour en comparaison de ce que donnerait une exploitation intelligente. Soit comme force motrice pour l’industrie ou comme moyen d’irrigation pour l’agriculture, ou comme instrument de transport, l’eau crée la richesse partout où elle passe. Ce sera pour les générations futures une œuvre non moins considérable que l’ont été les chemins de fer pour la génération actuelle d’aménager pour ces divers usages les ruisseaux, les rivières et les fleuves qui sillonnent notre territoire.


H. BLERZY.