Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyennant une redevance en nature, pour truffer la dinde traditionnelle de Noël. Cette redevance plus que modeste n’était pas toujours acquittée : les truffes n’avaient pas le prix qu’elles ont de nos jours ; le dommage causé aux truffières naturelles par des fouilles intempestives était pour le propriétaire plus grand que le mince profit qu’il en retirait. Aujourd’hui, grâce à l’extension des truffières artificielles, le paysan s’est fait, sur un premier fonds d’épargne, un champ d’exploitation bien à lui, et avec cette possession régulière est né chez lui le sentiment conservateur, l’amour et la protection de son bien. En même temps, tels d’entre eux, mettant leur activité de chercheurs de truffes au service des communes ou de grands propriétaires, sont arrivés à être des agens sérieux d’exploitation, payant régulièrement en argent des redevances de plus en plus élevées. Il en est qui, devenus par création ou par achat possesseurs de truffières artificielles ou naturelles, ont atteint l’aisance, la richesse même, et qui, puisant dans ce bien-être une légitime ambition, ont fait donner à leurs enfans l’instruction qu’ils regrettent de ne pas avoir. Les paysans de cette première catégorie sont nombreux dans le pays de Vaucluse. Le plus grand nombre retire de la truffe seule un revenu qui va de 1,500 à 4,000 ou 5,000 francs. Vient ensuite la catégorie des truffiers suspects, qu’on pourrait appeler les demi-marrons. Ceux-là ont toujours un pied dans le terrain de la maraude. Fermiers de truffières, ils trouvent dans ce prétexte d’une exploitation légale l’occasion d’entretenir une truie, instrument de déprédation sur les terres avoisinantes. Receleurs habiles, ils achètent furtivement les petits lots de truffes volées et les joignent à leur propre stock, dont ils augmentent ainsi l’importance et le prix commercial. Rabassiers tant que dure la saison des truffes, ils vont, en d’autres saisons, racoler de ferme en ferme les poulets, les œufs, les menues denrées, qu’ils vendent aux marchands en gros. Cette vie nomade et brocanteuse n’est favorable ni à la moralité ni à l’instruction ; aussi n’est-ce pas dans cette catégorie suspecte qu’il faut chercher les bons effets de l’aisance acquise par un travail régulier et par le meilleur rendement des terres. Encore moins trouverait-on ces bienfaits chez les rabassiers marrons, maraudeurs et braconniers avérés et endurcis. Étrangers à la région qu’ils exploitent en courant, suivis de leurs chiens dressés à cette chasse illicite, ils sont pour les propriétaires et les rabassiers établis un objet de suspicion et de haine. A leurs ruses de déprédateurs, le paysan oppose sa finesse de défenseur du bien légalement acquis et possédé. Au milieu de la vigne ou du champ transformé en truffière productive, on voit souvent se dresser un bâtiment rustique, percé de jours dans toutes les directions : c’est