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le sol à la place même où l’on suppose qu’est la truffe ; la terre effritée et meuble laisse enfoncer l’instrument : vienne un obstacle, le rabassier s’arrête et fouille ; que trouve-t-il ? Une truffe ou un caillou. C’est l’alternative de cette pêche aventurée. Quant aux mouches indicatrices, le truffier habile en connaît les allures et sait les mettre à profit avec cette sûreté de coup d’œil qui de tout temps et dans tout pays a distingué le chasseur. Qu’il s’agisse des hélomyzes, mouches à vol lent et lourd, on les voit volant autour de la truffière, voletant ou marchant sur le sol ou sur les touffes de chênes kermès : le truffier rapproche la tête du sol, et, d’un regard embrassant la zone inférieure de l’atmosphère, voit se balancer les essaims voltigeans des sciara. Il reste alors à suivre la piste de ces insectes jusqu’à la truffière, dont ils annoncent tout au moins le voisinage et que d’autres signes achèvent de déceler.

Parmi ces signes indicateurs de la truffière, il en est un très anciennement connu et dont la valeur est atténuée par le défaut de constance, c’est le jaunissement, l’état de souffrance, la disparition même des plantes herbacées et des sous-arbustes sur l’espace occupé par les truffes. Quelques auteurs, Amoreux entre autres, attribuent à l’odeur forte et particulière de la truffe une influence tonique pour les végétaux adjacens, hypothèse chimérique où l’on retrouve la trace des idées fausses des anciens sur les sympathies et les antipathies des plantes ; d’autres, plus avisés et profitant de la connaissance toute moderne de la composition chimique de la truffe, pensent que la forte proportion d’azote consommée par la rapide croissance du champignon ne peut l’être qu’aux dépens de la fertilité du sol et par suite de l’épuisement des plantes voisines. Cette opinion de M. Henri Bonnet me semble plausible, mais elle n’explique peut-être pas tout dans le phénomène complexe dont elle considère un seul élément.

Dans la pratique, la chasse de la truffe par l’homme tout seul cède de plus en plus le pas aux procédés plus rapides et plus sûrs de la recherche au porc et au chien. A mesure que s’étendent les truffières artificielles, les produits de cette culture demandent une exploitation régulière et méthodique ; l’instinct de l’animal supplée à l’imperfection des sens de l’homme et remplit dans cette branche d’industrie le rôle que la mécanique joue en d’autres branches du travail humain. Il n’y a rien là que de conforme au mouvement général de la civilisation, où la raison dirige vers un but donné toutes les forces vivantes ou brutes de la nature.

Ces réflexions pourraient sembler ambitieuses et hors de leur place en une question qui paraît au premier coup d’œil n’avoir qu’un côté utilitaire et prosaïque ; elles se justifieront peut-être comme introduction au côté moral du sujet, je veux dire à l’étude