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devant les lords, il fut contraint de prononcer ces paroles : « Nous n’avons pas fait la guerre pour le Danemark, d’abord parce que la France nous a refusé son concours, ensuite parce que nous n’avons jamais donné au gouvernement de Copenhague l’assurance formelle de l’assister. » Les temps étaient passés des interventions armées, l’Angleterre se contentait de la pression morale. Pendant la guerre, il y eut une conférence à Londres ; lord Russell avait réussi à grand’peine à la réunir ; la France et l’Angleterre y proposèrent le partage du Slesvig. On vit bientôt que toute entente serait impossible, la conférence fut close, et les hostilités recommencèrent. « La conférence, dit M. Disraeli, a duré le temps d’un carnaval et a été une affaire de masques. » Les fils du traité de Londres pendaient en lambeaux ; « la guerre annule les traités, » était le nouvel axiome que la Prusse opposait à toutes les combinaisons anglaises. La question danoise avait pour jamais glissé hors des mains de la Grande-Bretagne. L’opposition ne reprocha pas à lord Russell de n’avoir point mis les armes de l’Angleterre au service des traités, elle lui reprocha seulement d’avoir eu des velléités de résistance, d’avoir laissé espérer des services qu’il ne pouvait accorder. Pendant deux ans, le lion anglais avait rugi, quand il ne voulait pas mordre.

Il n’est pas douteux que ce grondement sans fin, toujours suivi d’une résignation facile à tous les événemens, qui a été le caractère de la politique extérieure de lord Russell, a laissé peser sur l’Angleterre les soupçons d’une impotence secrète, d’une faiblesse que l’opinion publique a exagérée. Quand on a vu de fiers descendans des plus grandes maisons semer leurs paroles dans le monde comme une poussière stérile, on s’est demandé si l’Angleterre se contenterait désormais du rôle de Cassandre, et d’une Cassandre qui ne reçoit plus les secrets des dieux ! Il peut y avoir de la grandeur dans le silence, il n’y en a pas dans la parole qui n’est plus la sœur de l’action. Lord Russell n’accorde pas même un souvenir au Danemark dans ses mémoires. Il se convainquit bien vite après sa déconvenue « qu’il y a du baume dans Gilead. » Il vit avec joie grandir une puissance militaire nouvelle sur le continent et eut des applaudissemens pour tous ses triomphes. La passion qui donna l’unité à sa vie à travers mille contradictions reçut des satisfactions suprêmes. Cette France dont l’ambition guerrière l’avait tant de fois troublé, il la vit envahie, vaincue, rançonnée, privée de deux provinces. Il pardonna à l’homme d’état qui l’avait mené comme un aveugle à travers le dédale du Slesvig-Holstein ; le spectacle de la nouvelle Europe le consola de la nécessité de livrer enfin à d’autres mains, après trente-trois ans de primauté incontestée, la direction du grand parti whig. Ses derniers conseils, ses dernières remontrances à ce parti, touchent surtout aux questions