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fut la mienne, puisque j’étais secrétaire d’état des affaires étrangères. » Cette faute eut des conséquences incalculables : elle prolongea la guerre des États-Unis, elle aigrit les rapports de l’Amérique et de l’Angleterre, et plus tard elle énerva la politique de la Grande-Bretagne par la crainte de représailles qui pouvaient devenir sa ruine. Lord Russell mit treize ans à la découvrir, s’il la reconnaît aujourd’hui avec cette franchise un peu hautaine qui est la fibre de son caractère. Quand lord Russell gémit sur la nouvelle politique qui « a terni l’honneur national, blessé les intérêts et abaissé le caractère national, » se demande-t-il si cette politique d’effacement n’est pas due au sentiment que l’Angleterre a porté à ses flancs depuis l’affaire de l’Alabama, la haine des États-Unis ?

Lord Russell n’a point ménagé ses attaques contre le traité de Washington, qui a mis fin à une si longue querelle : il cite le livre où M. de Hübner dit que les Américains s’accordent à considérer ce traité comme une capitulation de la part de l’Angleterre. Ses critiques sont aujourd’hui vaines ; les relations de l’Angleterre et des États-Unis sont redevenues cordiales, et elles ne seront sans doute pas compromises par des passages tels que celui-ci : il exprime l’espoir qu’à l’avenir la correspondance des deux pays « sera dans le ton de George Washington et de M. Jefferson, de lord Grenville et de M. Hammond, et non dans la langue de Fish et de Cushing, de lord Granville et du marquis de Ripon. » Fish et Cushing tout court ! Fish est le secrétaire d’état des affaires étrangères à Washington, Cushing est en ce moment ministre d’Amérique à Madrid.

Détournons-nous des pays pour lesquels lord Russell professe des sentimens qui ne sont pas ceux de la bienveillance : cherchons les nations, les causes qu’il a servies. Nous trouvons tout d’abord l’Italie. On peut concevoir toutes les tendresses pour cette terre illustre et bénie ; mais les ministres des affaires étrangères ne sont pas des poètes. Ils écrivent en prose : ils ont la garde officielle des traités, et même quand ils jouissent secrètement de les voir déchirer, ils s’abstiennent ordinairement de témoigner leur joie. La fameuse dépêche de lord John Russell à sir J. Hudson (27 octobre 1860) est le monument le plus curieux d’une littérature diplomatique tout à fait nouvelle. On voudrait la citer tout entière, comme lord Russell lui-même le fait dans ses mémoires.

Lord Russell constate que l’empereur des Français, l’empereur de Russie, le prince-régent de Prusse, ont exprimé leur déplaisir en apprenant l’invasion du territoire pontifical et du territoire napolitain par l’armée du roi de Sardaigne. L’Angleterre à son tour donnera son avis. « Les grandes questions qui nous semblent pendantes sont celles-ci : le peuple italien a-t-il le droit de demander