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l’Angleterre. L’Angleterre n’avait aucune intention d’acquérir Constantinople, elle était heureuse de recevoir une assurance semblable de la Russie ; mais ce désintéressement, qui donnait à l’empereur une gloire plus éclatante que celle des conquêtes, ne pouvait être mieux montré qu’en ne faisant aucune démonstration militaire ou maritime contre la Turquie, en ne diminuant point l’autorité de la Porte par une intervention dans son gouvernement intérieur.

L’optimisme de Nicolas au sujet de l’Angleterre ne put être vaincu ; il ne pouvait croire sans doute qu’on pût hésiter entre Napoléon III et lui. Pendant que sir H. Seymour lui fait lecture de la dépêche de lord Russell, il l’interrompt sans cesse et il se répand en dangereuses confidences, il se précipite sur la pointe de l’épée qu’on lui oppose. La plume habile de sir H. Seymour a fixé cette scène étrange et tragique, si l’on pense à toutes les conséquences d’un tel malentendu. Le tsar allait de la caresse au défi : jamais il ne permettrait qu’on fît un nouvel empire de Byzance, que la Grèce devînt une puissance redoutable, ni que la Turquie s’émiettât en petites républiques, qui serviraient d’asile à Kossuth, à Mazzini, aux révolutionnaires d’Europe. Il commencerait plutôt la guerre et la continuerait tant qu’il aurait un homme et un fusil. Pourtant il inclinait toujours à la confiance ; il restait familier, appelait le sultan « ce monsieur. » Il se plaignait que la dépêche de lord John ne fût pas assez explicite. Il voulait s’entendre avec lui. « Ce n’est point un engagement, une convention que je demande, c’est un simple échange d’idées et au besoin une parole de gentleman ; entre nous, cela suffit. » Sir Hamilton Seymour avait été très surpris de la façon dont le tsar lui parla de l’Autriche : « Ce qui convient à la Russie convient à l’Autriche ; nos intérêts dans la question de la Turquie sont identiques. » On sait en effet que l’Autriche essaya d’empêcher la guerre ; elle fit accepter par les grandes puissances une note qui fut envoyée simultanément à Saint-Pétersbourg et à la Porte. Nicolas se déclara prêta l’accepter ; la Porte refusa, si l’on n’y faisait certaines modifications. L’empereur de Russie ne voulut pas accepter des modifications dictées par la Porte. On dut se demander alors si l’on obligerait la Porte à signer la note originelle en la consolant par la garantie que l’interprétation de cette note n’appartiendrait qu’aux grandes puissances. C’était l’avis de lord Aberdeen et d’autres membres du conseil ; ce ne fut pas celui de lord Russell et de lord Palmerston. Les interprétations que la Russie donna elle-même de la note des quatre puissances obligèrent le gouvernement français à cesser de peser sur la Porte dans le sens de l’acceptation. Le gouvernement anglais protesta également contre le sens donné par la Russie à la note des puissances.

Le gouvernement autrichien ne se découragea pas ; il fit de