Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/861

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ciens glaciers. Il n’est point de touriste, traversant la mer de glace de Chamounix, entre le Montanvert et le Chapeau, à qui son guide n’ait montré les cascades appelées moulins. On donne ce nom aux petits ruisseaux qui sillonnent en été la surface du glacier et se précipitent dans une crevasse. Quand ils atteignent la roche sous-jacente, ils commencent à la creuser, des cailloux de la moraine profonde s’engagent dans ce trou ; le mouvement de rotation qui leur est imprimé use la roche, et le cône s’élargit et s’approfondit sans cesse. Les moulins de nos glaciers sont des miniatures ; mais M. Nordenskiœld décrit ceux des glaciers du Groënland comme de véritables torrens qui s’engouffrent dans le glacier. Les moulins des anciens glaciers devaient avoir la même puissance, et ces cavités inexplicables par toute autre hypothèse viennent s’ajouter comme un nouvel argument à tous ceux que nous connaissons déjà pour prouver que la presqu’île scandinave a jadis été complétement envahie par la glace.

Un volume ne suffirait pas pour donner une idée de tous les travaux accomplis par les géologues anglais sur le terrain glaciaire qui couvre l’Écosse, les deux tiers septentrionaux de l’Angleterre et l’Irlande tout entière : ils le désignent sous le nom de drift. Une phalange d’explorateurs, et à leur tête les membres de la commission chargée de dresser la carte géologique des îles britanniques, se livrent spécialement à l’étude de la géologie superficielle (surface geology), tout à fait négligée par leurs prédécesseurs, qui considéraient tous ces terrains de transport comme indignes de leur attention. Ils se vouaient exclusivement à l’analyse stratigraphique des formations marines ou lacustres éclairée par l’examen des fossiles qu’elles renferment. Plusieurs époques glaciaires, séparées par des affaissemens et des émergences de l’archipel britannique, sont le résultat général de ces investigations : elles ont soulevé une autre question intéressante qui n’est pas encore résolue. L’Écosse, le pays de Galles, les comtés de Cumberland et de Westmoreland, appelés lake districts, qui ont inspiré les poètes lakistes, et l’Irlande tout entière sont couvertes de petits lacs. Les uns sont dus à des barrages morainiques comme les lacs d’Orta en Piémont, de Gerardmer dans les Vosges, ou de Lourdes, au pied des Pyrénées. L’origine en est donc très facile à expliquer ; mais d’autres sont de simples cuvettes creusées dans les roches les plus dures et forment de petites nappes d’eau sans écoulement apparent. On a cherché à rattacher leur présence à celle du terrain erratique dont ils sont entourés. On a pensé que les glaciers, agissant à la manière d’un soc de charrue, avaient excavé la roche et creusé la cavité où les eaux se réunissent. C’est l’opinion émise dès 1840 par M. Godefroy.