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admirablement conservées. La colline est une ancienne moraine : blocs erratiques, cailloux rayés originaires des Alpes, boue glaciaire et sable résultant de la trituration des roches, rien n’y manque. Après MM. Stoppani, Desor et Schimper, de Strasbourg, j’ai pu constater que le doute n’était pas possible. Les coquilles furent soumises à l’examen de paléontologistes compétens qui tombèrent d’accord pour reconnaître dans les 51 espèces trouvées 20 espèces vivantes encore dans la Méditerranée[1] et 31 éteintes[2], mais appartenant à la faune pliocène[3]. Cette abondance de fossiles pliocènes éveilla des doutes, on se demanda si ces coquilles avaient été trouvées sur une vraie moraine ou empruntées au terrain pliocène sous-jacent. Sous ce nom, les géologues anglais et français désignent un terrain très moderne, le dernier qui ait été déposé par les eaux marines. Les géologues italiens l’appellent sub-apennin, car il règne tout le long de la chaîne des Apennins ; c’est lui qui forme les collines de l’Astesan en Piémont, des environs de Bologne, de Sienne, etc. Il a été déposé par une mer aujourd’hui disparue, et se compose de sables, de poudingues et de marnes bleues. Les coquilles que renferment ces dépôts annoncent une mer chaude d’une température égale ou supérieure à celle de la Méditerranée. La moraine dont nous avons parlé était donc une moraine sous-marine déposée par les glaciers des Alpes dans la mer pliocène. Tout le prouve : en effet, ces coquilles ont vécu sur le lieu même où on les observe actuellement, elles n’ont point été déplacées, ni roulées par les vagues, car les angles n’en sont pas émoussés, les arêtes sont vives, les épines intactes. Des cailloux de calcaire alpin qui les accompagnent ont été perforés par des pholades. Ainsi donc non-seulement l’ancien glacier arrivait au bord de la mer, mais encore il la surplombait et y déposait sa moraine terminale, comme le font encore les glaciers du Spitzberg et de la Nouvelle-Zemble. Non loin de Côme, aux environs de Balerna, à l’extrémité méridionale du canton du Tessin, M. Stoppani a étudié les marnes pliocènes et a vu que le terrain glaciaire reposait immédiatement sur elles.

On ne sera pas surpris de l’incrédulité des géologues lorsqu’ils eurent vent de cette découverte inattendue. En effet, dans les deux hémisphères les glaciers ne descendent jusqu’au bord de la mer

  1. Exemples : Cerithium vulgatum, Buccinum mutabile, Turitella communis, Chenopus pes-Pelicani, Cancellaria cucullata, Natica helicina, Columbella scripta, Vermetus intortus, etc.
  2. Exemples : Pleurotomaria interrupta, Fusus aduncus, Murex scalaris, Buccinum semi-striatum, Turitella bicarinata, Terebra pertusa, Purpura striata, Conus ponderosus, Solarium simplex, Natica macilenta, Dentalium sexangulare, etc.
  3. Voyez Stoppani, il Mare glaciale a’ piedi delle Alpi. — Rivista italiana, agosto 1874.