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navire la Germania a pénétré dans un golfe ou fiord étroit et profond, situé sous le 73e degré de latitude. D’immenses glaciers couvraient les montagnes. La plupart étaient suspendus au-dessus de falaises escarpées qui semblaient couronnées d’un diadème étincelant sous la froide lumière du jour perpétuel des étés polaires ; abritées des vents du large, les eaux tranquilles du fiord réfléchissaient comme un miroir les cimes d’alentour. Un morne silence régnait dans ce canal étroit et sinueux où l’homme pénétrait pour la première fois. Seulement de temps en temps une avalanche de glace, détachée de l’un de ces glaciers aériens, se précipitait avec fracas dans la mer, l’eau jaillissait à une grande hauteur, une légère houle se produisait et balançait le navire pendant quelques instans, puis tout rentrait dans le calme. Assis dans une vallée entre deux montagnes, d’autres glaciers arrivaient jusqu’au rivage et s’avançaient dans la mer. Des portions entières de ces grands glaciers se détachent de la masse : entraînées par les marées et les courans, elles deviennent des îlots de glaces flottantes, chargées souvent des blocs erratiques qui formaient les moraines superficielles. Partout dans les régions circumpolaires des deux hémisphères, les navigateurs ont retrouvé ces glaciers. Dans l’archipel François-Joseph, le navire le Tegetthoff a passé les deux hivers de 1873 et de 1874, emprisonné loin de la côte et soulevé par une banquise de glace ayant 12 mètres d’épaisseur. La nuit hibernale dura 125 jours, régnant sans discontinuité du 22 octobre au 24 février. Le froid atteignit 50 degrés au-dessous de zéro. Dans ces îles, les glaciers remplissaient toutes les vallées et bordaient quelquefois la mer sur une longueur de 100 kilomètres. L’œil attristé n’apercevait que neige, glace ou névé ; les escarpemens même des rochers qui en sont ordinairement dépourvus étaient recouverts d’un verglas qui en dessinait exactement les formes. Quelques herbes rabougries, derniers représentans de la flore polaire, végétaient misérablement entre les pierres, mais ne voilaient jamais la nudité du sol. La vie animale persistait seule : l’ours polaire, les phoques, les morses, les renards bleus et les lièvres blancs résistent à ces affreux hivers. Ces animaux ont été le salut des intrépides explorateurs, et la chair de 67 ours tués sur la glace les a préservés des atteintes mortelles du scorbut. Loin de se laisser abattre, les officiers ont continué leurs observations pendant les deux hivers à la lueur des aurores boréales, exploré l’archipel dans deux excursions en traîneaux attelés de chiens esquimaux, et planté le 12 avril 1874 le drapeau autrichien au-delà du 82e degré de latitude ; mais, sous peine de passer un troisième hiver dans les glaces, ils durent abandonner le navire le 20 mai 1874 et regagner à travers mille périls la Nouvelle-Zemble, d’où un pêcheur russe les