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s’écroulent sous les pieds du voyageur et le précipitent dans l’abîme. On a donc proposé de remplacer la ligne des neiges éternelles par celle des névés ; mais M. Desor dans les Alpes bernoises, M. Julius Payer dans celles du Tyrol, ont vu que cette ligne variait suivant les années de 300 à 400 mètres. En général, on la trouve vers l’altitude de 3 000 mètres. Ces oscillations annuelles ne nous permettent pas de la considérer comme une ligne fixe et invariable pouvant remplacer l’ancienne ligne des neiges éternelles.

L’existence de celle-ci dans les régions arctiques, au Spitzberg, au Groënland, à la Nouvelle-Zemble, n’est pas mieux établie. Dans ces parages, la neige fond au bord de la mer pendant l’été et ne persiste à l’état de névé que dans des fentes ou des cavités. Souvent elle disparaît sur les pentes découvertes ou tournées vers le midi jusqu’à 100 mètres au-dessus de la mer, et au Spitzberg quelquefois jusqu’à 300 mètres. La limite des neiges éternelles est donc une conception de l’esprit engendrée par une trompeuse apparence et qui ne correspond pas à la réalité. Tous les calculs mathématiques auxquels elle a donné lieu sont de pure fantaisie. En effet, la neige fondant par en dessous au contact du sol échauffé par les rayons solaires, la couleur et la conductibilité du sol pour la chaleur jouent un rôle prépondérant dans le phénomène. La neige fond plus vite sur un terrain noir que sur un terrain de couleur claire ; or comment faire entrer l’influence de la couleur dans un calcul mathématique ? Il n’y a donc pas de ligne des neiges éternelles, il n’y a qu’une hauteur variable à laquelle le névé persiste toute l’année comme celui qui constitue les avalanches tombées au printemps dans les basses vallées des Alpes et des Pyrénées, où elles forment sur les torrens des ponts solides que l’on traverse pendant tout l’été. Je suis heureux de pouvoir invoquer sur ce point l’autorité d’un savant autrichien, le lieutenant J. Payer[1], qui, après avoir exploré les montagnes du Tyrol, a pris part à plusieurs campagnes dans les régions arctiques et dirigé, avec le capitaine Édouard Weyprecht, de Trieste, l’expédition austro-hongroise à laquelle nous devons la découverte de l’archipel François-Joseph, qui s’étend entre la Nouvelle-Zemble et le Spitzberg, du 80e au 83e degré de latitude. Ce sont les terres les plus rapprochées du pôle qui aient été explorées par les voyageurs arctiques.

Les grands glaciers, avons-nous dit, descendent bien au-dessous de la ligne des névés ; leur progression, comparable à celle d’une rivière qui coule sur une faible pente, est un fait avéré depuis longtemps. Les causes de cette progression, méconnues par L.

  1. Petermann, Geographische Mittheilungen, 1871, p. 123.