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rues, le Journal de Paris jetait à tous les échos, avec le nom d’un autre Chénier, l’hymne qui vengeait la conscience publique :

Salut ! divin triomphe ! entre dans nos murailles !
Rends-nous ces guerriers illustrés
Par le sang de Désille et par les funérailles
De tant de Français massacrés !
……….
Quarante meurtriers, chéris de Robespierre,
Vont s’élever sur nos autels.
Beaux-arts qui faites vivre et la toile et la pierre,
Hâtez-vous, rendez immortels
Le grand Collot-d’Herbois, ses cliens helvétiques,
Ce front que donne à des héros
La vertu, la taverne et le secours des piques !

Ce qui indignait l’âme patriotique de Chénier, ce n’était pas seulement la réhabilitation de criminels justement condamnés, c’était cette sorte de prime solennelle décernée à l’esprit d’insurrection militaire. Il pensait avec raison qu’une nation ne peut subsister avec ces deux fléaux dont un seul suffirait à la perdre : la violence dans la rue, sous le nom de justice populaire ou de patriotisme égaré, — et l’indiscipline des armées, chère dans tous les temps à la démagogie. Moins de quinze jours après la fête des Suisses de Châteauvieux, la panique de Tournay et le massacre du général Dillon par ses propres troupes vinrent justifier les pronostics d’André. C’est alors que, sous le poids de ces tristes scènes et de ses appréhensions plus tristes encore, il traça d’une main ferme les plus mâles conseils à l’assemblée, lui démontrant qu’une armée indisciplinée n’est redoutable qu’à son pays. Les vrais coupables de cette indiscipline croissante, ce sont « ces fanatiques odieux, ces vils brouillons (on remarquera ce mot, qui revient sans cesse sous la plume de Chénier), qui peuplent les clubs et que le mauvais génie de la France a suscités et entretient contre elle. Ce sont eux qui combattent pour la révolte et le brigandage, comme pour leurs autels et leurs foyers… Ne doutons pas que ces plumes mensongères et féroces ne s’évertuent à nous intéresser bientôt au sort de soldats qui n’ont su manier leurs armes que pour des assassinats ; on nous dira qu’à la vérité, ils ont été égarés, mais que les chefs étaient des aristocrates, qu’ils étaient vendus. Et il ne tiendra pas aux efforts de ces misérables que nous n’entendions quelque bouffon qui n’aura fait que changer de tréteaux nous proposer de décerner le triomphe à ces fuyards meurtriers. » Croyons bien que cette terrible allusion à Collot-d’Herbois, qui avait été comédien, ne fut pas perdue. — Ce qu’annonçait André Chénier était d’ailleurs, au moment où il écrivait, en train de se réaliser. Au club des jacobins, Chabot, Collot-d’Herbois, Robespierre, Saint-Hurugue, dénonçaient