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ne voit que ce sont les procédés mêmes, les principes, les hommes de la terreur que combat le poète publiciste ? Dans la rigueur des termes, la période officielle de la terreur, on le sait, commence à la chute des girondins, le 31 mai 1793, et se termine à celle de Robespierre, le 27 juillet 1794 ; mais il ne faut prendre ces dates que pour des limites toutes matérielles. En réalité, il faut les élargir singulièrement. La terreur commence, non pas même aux massacres des prisons au mois de septembre 1792, ni au 10 août, ni au 20 juin ; il y a du vrai dans cette assertion de Malouet qui déclare dans ses Mémoires que, bien qu’elle ne fût proclamée qu’en 1793, elle naquit dès 1789, dans le désordre des rues qui s’établit presqu’en permanence depuis le 14 juillet. Elle commence dès que se répandent et se propagent les fausses alarmes, les paniques qui arment une partie du peuple contre l’autre, les délations, les vexations arbitraires, dès que se forme le comité des recherches, créé par un arrêté de l’assemblée de la commune le 20 octobre 1789, dès que la liberté individuelle est inquiétée, suspendue, violée, dès que la populace se met à la place des tribunaux et décrète tumultuairement l’arrestation ou la mort, se chargeant même au besoin de l’exécution. Cette justice populaire qui déshonora les rues de Paris dès 1789 et qui ne fit que s’aggraver en 1790, 1791, 1792, laissez-la croître, s’enraciner dans les mœurs d’un peuple de plus en plus enivré ou exalté par la lutte, il arrivera un jour où elle sentira le besoin de se régulariser elle-même, de centraliser l’anarchie, de donner à l’arbitraire et à la violence les formes et le mensonge de la légalité, de remettre à quelques-uns des chefs ou des serviteurs du peuple la responsabilité tout entière, l’initiative de ses crimes, de multiplier ses moyens d’action par l’unité du plus absolu despotisme, et ce jour-là régnera officiellement la terreur ; mais c’est bien elle que longtemps d’avance annonce André Chénier ; c’est elle qu’il flétrit dans l’esprit révolutionnaire déchaîné, qu’il essaie de détruire par l’indignation publique.

Et quand des publicistes, encore à l’heure qu’il est, feignent de ne pas comprendre cet axiome du plus simple bon sens, que l’esprit révolutionnaire est le pire ennemi de la révolution, dont il compromet les plus justes conquêtes, nous les renvoyons à André Chénier. C’est dans ces pages si vigoureuses et si précises qu’ils apprendront que la révolution est le nom d’une ère nouvelle, celle de l’égalité rétablie et du travail affranchi, de la liberté de conscience assurée, du contrôle imposé au pouvoir, la fin en un mot d’un régime politique et social, le commencement d’un autre. Voilà ce que voulait André Chénier, ce qu’il aimait d’un ardent amour. L’esprit révolutionnaire est tout autre chose ; c’est l’insurrection en permanence, la désobéissance à la loi, le mépris de la liberté et