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L’auteur, devançant les premières résolutions qui seront adoptées quelques semaines après, demande qu’on opine par tête aux états-généraux, que la puissance législative réside uniquement dans cette assemblée, que la responsabilité du pouvoir exécutif soit effective et le contrôle de ses actes nettement défini, rigoureusement sanctionné, que l’impôt ne puisse être ordonné que par les représentans de la nation, qu’il soit établi dans une proportion égale, que les barrières pour la perception des droits soient reculées aux frontières du royaume. Il réclame des garanties pour la liberté des citoyens, « qui ne pourra être suspendue plus de vingt-quatre heures sans que l’accusé soit traduit devant son juge naturel, » l’établissement du jury « suivant la forme usitée en Angleterre, » l’abolition des justices seigneuriales, l’égalité et l’identité des peines pour tous les citoyens, nobles et roturiers, la suppression de la vénalité des charges, l’accès du tiers-état à tous les emplois, l’uniformité des lois, l’égalité du partage des biens patrimoniaux entre tous les enfans, la liberté des cultes. C’est toute une théorie de monarchie réformée et d’institutions adaptées par un esprit pratique à ce nouvel état social. Il ne s’y mêle aucune déclamation : à peine si quelques idées utopiques percent ici et là sous ce fonds de bon sens politique et de modération légale. C’est l’idéal constitutionnel que se formait alors dans les comités électoraux la partie saine et intelligente de la nation, et si l’on veut prendre la moyenne de ce que souhaitait, de ce qu’espérait alors la France, c’est bien là qu’il faut la chercher.

André aurait assurément souscrit des deux mains à ce programme de réformes, en y mettant en plus l’ardeur et le feu de la jeunesse ; mais à cette date il était loin de Paris et livré au spleen britannique. Les fonctions un peu subalternes qu’il remplissait à l’ambassade pesaient à son libre esprit. Il devenait de plus en plus impatient du joug officiel et surtout de l’absence. Inconnu, délaissé dans ce vaste désert d’une foule préoccupée de ses affaires et de ses intérêts, trop peu en vue pour se consoler par l’accueil des hautes classes, qui n’avaient pour lui que de la morgue ou de l’indifférence, il admirait les institutions de l’Angleterre, mais il en détestait les mœurs et la vie. L’appel des idées nouvelles, le pressentiment des événemens qui se précipitaient en France, hors de sa portée et de sa présence, tout cela augmentait sa mélancolie. On en retrouve une trace curieuse dans ce fragment écrit à Londres sur la table d’une taverne : « London, Covent-Garden, Hood’s Tavern. Vendredi 3 avril 1789… Que l’indépendance est bonne ! Heureux celui que le désir d’être utile à ses vieux parens ne force pas à renoncer à son honnête et indépendante pauvreté ! Peut-être un jour je serai