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séparées par plusieurs siècles, on suit très bien le développement du pouvoir et des privilèges du chef. Il est évident que dans les premiers temps la terre était considérée comme la propriété collective de la tribu. Le chef exerçait certaines fonctions administratives ; il conduisait ses hommes à la guerre, et comme rémunération il avait la jouissance d’un domaine situé près de sa demeure et certains droits assez mal déterminés sur le communal, sur le waste. Les hommes libres de la tribu étaient propriétaires au même titre que lui, et jouissaient à son égard d’une indépendance complète. Cependant on voit déjà souvent le territoire du clan prendre le nom de la famille du chef ; ainsi il est fréquemment question du district des O’Brien ou des Macleod. Ensuite on s’aperçoit que l’autorité du chef grandit ; les cultivateurs libres, ses égaux, cherchent sa protection et deviennent ses hommes-liges ; une certaine dépendance s’établit, semblable à celle que fait naître ailleurs la commendatio, et elle a différens degrés. Le chef augmente le nombre de ses suivans à mesure qu’il s’enrichit. Ainsi la force dont il dispose croît avec sa richesse, et réciproquement il use de sa force pour augmenter ses exigences et par suite ses revenus. Il profite des droits qu’il a acquis sur les terres vagues de la tribu pour y implanter une classe nouvelle de tenanciers qui dépendent complètement de lui et dont nous verrons bientôt l’origine. Enfin il étend sa suzeraineté par un moyen qui mérite de fixer toute notre attention et qui n’avait pas encore été signalé.

On attribue généralement aux institutions féodales deux sources : le bénéfice et la commendatio. Quand le propriétaire concède, moyennant certaines prestations et certains services, une terre à un tenancier qui devient ainsi son vassal, il y a constitution de bénéfice. Quand au contraire le propriétaire appauvri, menacé ou sans cesse inquiété ; donne son bien à un homme puissant capable de le protéger, en se réservant toutefois la jouissance héréditaire de la propriété moyennant certaines redevances et certains services, il y a commendatio, M. Fustel de Coulanges a expliqué tous ces faits ici même[1] avec cette netteté et cette connaissance profonde des textes anciens qui rendent ses études si instructives. Sir H. Maine a découvert dans l’ancienne législation irlandaise une troisième source de la relation féodale de seigneur à vassal, qui remonte à un état de civilisation bien antérieur à celui où se sont produits les deux autres. En effet, le bénéfice et la commendatio reposent sur la remise de la terre et supposent par conséquent là propriété privée très

  1. Voyez la Revue du 15 mai 1873. On peut consulter aussi sur ce sujet l’excellent livre de M. Stubbs, Constitutional History.