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tribus, fine, dont les membres se croyaient attachés par un lien de famille résultant de la descendance d’un ancêtre commun. A la tête du clan se trouvait un chef que les traditions irlandaises appellent un roi. Quand le clan était nombreux, il se subdivisait en groupes, unis chacun par un lien de parenté plus étroit et ayant aussi un chef que les légistes anglo-irlandais ont nommé capita cognationum. Ces groupes correspondaient à la gens romaine, au γένος grec et à ces gentes, à ces cognationes hominum de la Germanie, entre lesquels, suivant César, la possession du sol se répartissait chaque année[1]. L’unité juridique et politique dans l’ordre social n’était donc pas, comme aujourd’hui, l’individu isolé, mais le groupe familial qui était nommé sept. C’était exactement la zadruga, la communauté de famille, que les Allemands appellent très justement Hauskommunion. Le sept était semblable aussi à ces groupes de famille, à ces sociétés de compani, de Frarescheux, à ces « coteries, » à ces « fraternités, » qui au moyen âge en France vivaient ensemble dans une grande maison, la cella, exploitant en commun le sol, se partageant ses produits, et « vivant au même pot » et au même « chanteau[2]. »

L’Inde encore aujourd’hui nous offre dans la famille associée, joint-family, comme disent les Anglais, l’image exacte du sept celtique de l’Irlande ancienne. La joint-family forme un corps moral qui possède, qui acquiert et qui a une durée perpétuelle comme une société de mainmorte. Elle offre le type parfait de ce mode archaïque de jouissance indivise que l’on rencontre dans toutes les sociétés agricoles primitives. Elle se compose de l’association de toutes les personnes qui auraient pris part aux sacrifices des funérailles de l’ancêtre commun. C’est la famille agnatique des Romains, comprenant tous ceux qui auraient été sous l’autorité de leur auteur commun, s’il avait vécu pour l’exercer. D’après les décisions des cours de justice de l’Inde, aucun membre de la famille n’a droit à une part de la propriété commune. Les produits doivent être mis en commun et partagés entre tous d’après les règles de la jouissance

  1. De Bell. Gall., VI, 29. — On trouvait parmi les Écossais la même organisation sociale qu’en Irlande. M. Skene cite dans son livre, the Highlanders of Scotland, le témoignage d’un officier anglais se rapportant à l’année 1730. « Les highlanders sont divisés en tribus ou clans sous des chefs ou chieftains, et chaque clan se subdivise en souches également sous des chieftains. Ces souches se divisent à leur tour en branches de la même race, qui comptent cinquante ou soixante hommes reliés par une origine commune. » Dans une notice récente sur l’Origine des magistrats communaux, M. Léon Vanderkindere vient de démontrer l’existence de la marke et de la propriété collective on Belgique jusque très avant dans le moyen âge.
  2. Voyez les excellens livres que MM. Doniol, Dareste de La Chavanne et Eugène Bonnemère ont consacrés à l’histoire des classes rurales en France.