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A l’hostilité persistante des habitans de la Nouvelle-Orléans, les fédéraux répondirent en traitant de plus en plus cette ville comme une cité conquise : l’autorité despotique du grand-prévôt pesa sur elle de tout son poids. Un grand nombre de propriétaires servaient dans les rangs confédérés : leurs maisons furent saisies ; ceux qui, sans quitter la ville, se distinguaient par leurs sympathies pour la cause du sud furent exposés à toute sorte de vexations. Bientôt la spéculation vint rendre plus odieuses ces tristes mesures : les lois de confiscation furent appliquées d’une manière dont on ne trouve pas d’autre exemple dans l’histoire de cette guerre. Les propriétés saisies furent vendues à vil prix à des aventuriers protégés par le général en chef ; on assure même que son propre frère fut le principal agent de toutes les honteuses affaires qui prirent alors la place du commerce légitime. Ce commerce en effet, dès que la provision de coton rassemblée dans la ville avant son occupation fut épuisée, se réduisit à l’alimentation des habitans, qui ne pouvaient rien trouver dans l’étroit espace dont la guerre leur laissait la jouissance, pas même les vivres nécessaires à leur consommation journalière, et il s’ensuivit que les exportations furent absolument nulles. de la une grande détresse, que la crise financière vint encore aggraver : les emprunts contractés par les gouvernemens de Richmond et de la Louisiane depuis la sécession ne pouvaient être reconnus par les fédéraux, et la valeur des titres qui les représentaient devint aussitôt presque nulle. Cependant la nécessité ne permit pas à Butler de comprendre dans la proscription le papier-monnaie confédéré, qui circulait seul alors, et, par une anomalie aussi étrange qu’inévitable, ce symbole, de la rébellion fut pendant longtemps toléré et reçu dans les caisses fédérales.

Butler n’était pas entièrement responsable de ces malheurs, et, pour être juste, il faut ajouter, après avoir énuméré ses actes arbitraires, que dans son administration il fit preuve à certains égards non pas seulement d’énergie, mais aussi d’intelligence. La tranquillité de la ville ne fut jamais troublée, et la police sanitaire y fut faite avec une méthode inconnue jusqu’alors dans cette grande cité : les nègres désœuvrés furent employés, aux frais du gouvernement fédéral, à rectifier les égouts, à dessécher les marais les plus voisins de la ville, si bien qu’au grand étonnement des habitans, qui s’attendaient à voir leur vieil ennemi, la fièvre jaune, venir avec l’été les visiter et ravager la garnison fédérale, ce terrible fléau ne parut pas, et, par une sorte de compensation pour d’autres maux, épargna la Nouvelle-Orléans pendant toute la durée de la guerre.


COMTE DE PARIS.