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l’homme, un honneur ou une insulte pour les vaincus. Le gouvernement de Washington n’avait alors, il est vrai, aucun général illustre à envoyer pour régir les habitans de la Nouvelle-Orléans ; Cependant il eût valu mille fois mieux confier l’autorité suprême dans cette grande cité à un vrai soldat, à quelque militaire étranger à la politique, incapable de se prêter aux intrigues et à la spéculation, qu’à l’ancien allié politique de Jefferson Davis, au légiste en uniforme qui avait paru sur la levée du Mississipi au moment où la flotte de Farragut s’éloignait à la recherche de l’ennemi.

Pour une ville conquise, rebelle ou ennemie, comme l’on voudra, la Nouvelle-Orléans fut d’abord traitée avec douceur : aucune contribution de guerre ne lui fut imposée. Les troupes fédérales, accueillies à leur débarquement par les huées et les cris d’une foule énorme, montrèrent la plus grande modération ; les propriétés particulières furent toutes respectées ; bien plus, le gouvernement municipal que la ville possédait avant d’être prise fut reconnu et accepté par les vainqueurs. Le maire, M. Monroë, qui n’avait fait aucun secret de son profond dévoûment à la cause confédérée, resta le représentant officiel de la cité, comme il l’était lorsqu’il en organisait la défense de concert avec Lowell. M. Lincoln avait recommandé à ses généraux de rétablir purement et simplement l’autorité suprême de l’Union et des lois fédérales, sans se mêler des affaires intérieures des villes et des comtés autrement que pour faire respecter ces lois. On put espérer d’abord que ce programme, à la fois si sage et si difficile à appliquer, réussirait à la Nouvelle-Orléans. Après quelques jours d’une vive émotion, cette ville avait vu sortir toutes les troupes fédérales campées sur ses places : il ne restait qu’une garde suffisante pour maintenir l’ordre matériel, qui du reste ne fut jamais troublé. Le conseil municipal avait repris la direction régulière des affaires. Un journal ayant refusé d’imprimer la première proclamation de Butler, celui-ci se contenta de lui envoyer quelques anciens typographes enrôlés dans son armée, qui composèrent d’office ce morceau, et le journal, malgré cet acte de résistance, ne fut suspendu qu’un seul jour. Seulement il aurait fallu un autre homme que le général Butler, une population moins passionnée dans ses démonstrations que celle de la Nouvelle-Orléans, pour adoucir d’une manière durable ces rapports, des deux parts si pénibles, que la guerre établit entre le vainqueur et le vaincu. Imprudemment provoquées, les autorités militaires ne pouvaient manquer d’abuser du pouvoir absolu qu’elles possédaient, et qui leur offrait les plus dangereuses tentations. Aux insultes sottement prodiguées à ses officiers dans les rues de la Nouvelle-Orléans, Butler répondit par un ordre du jour à la fois odieux, absurde et