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tocsin répété par les cloches de toutes les églises. Bientôt les habitans de la Nouvelle-Orléans aperçoivent des groupes de cavaliers venant par la levée du Mississipi ; on reconnaît le général Lowell et quelques officiers qui, après avoir assisté au combat nocturne, ont réussi, non sans peine, à dépasser la flotte ennemie : on les entoure, on les presse de questions. Ils racontent le combat, le courage des canonniers et des marins, la destruction complète de la flotte. Mais où est Farragut, et que va-t-on faire ? Farragut approche, et tenter de défendre la ville contre lui ne servirait qu’à attirer sur elle toutes les horreurs d’un bombardement. Lowell a laissé quelques troupes plus bas pour entraver la marche des fédéraux et servir contre eux les douze canons des batteries dites les Chalmettes, élevées sur les deux rives du fleuve afin d’appuyer l’enceinte qu’il avait construite. Il songe un instant à tenter un coup de désespoir et à attaquer à l’abordage les navires ennemis au moment où ils se présenteront devant la ville ; mais, lorsqu’il demande 1,000 hommes de bonne volonté pour cette entreprise, une centaine à peine se présente : il n’a pas en tout plus de 3,000 soldats autour de lui. Renonçant à une lutte impossible, il prend alors le parti d’évacuer la ville, pour se retirer avec sa petite garnison au camp Moor, situé à 100 kilomètres dans l’intérieur, sur le chemin de fer de Jackson. Cette détermination, qui lui fut cruellement reprochée, était sage et nécessaire : s’il avait tenté de défendre la Nouvelle-Orléans, non-seulement il aurait exposé cette ville à d’affreux ravages, mais il aurait donné à Farragut l’occasion de remporter un succès encore plus décisif, et les flottes fédérales auraient probablement alors pu profiter de ce succès pour s’emparer de tout le cours du Mississipi. La Nouvelle-Orléans, par sa position, était un véritable piège pour les troupes chargées de la défendre contre un assaillant maître du fleuve. Au nord de la ville s’étend le grand lac Pontchartrain, bordé de jardins et de villas, qui, en un endroit appelé Kenner, en amont de la cité, se rapproche du Mississipi au point de n’en être séparé que par une langue de terre de 1 kilomètre de large. Cette langue relie seule au continent la presqu’île irrégulière qui forme le côté gauche du delta et sur laquelle se trouve la Nouvelle-Orléans. En effet, le lac Pontchartrain se décharge dans le Lac-Borgne par deux canaux profonds, les Rigolets et le bayou du Chef-Menteur ; la crue des eaux avait emporté tous les obstacles placés dans ces canaux, que défendaient seulement deux ouvrages insignifians. Elle ouvrait ainsi aux petites canonnières fédérales le lac Pontchartrain et leur donnait les moyens d’y naviguer : toute retraite était donc interdite de ce côté aux confédérés. Enfin cette même crue, en élevant le niveau du Mississipi