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opposer le Manassas et une dizaine de navires de bois. Ces bâtimens, évidemment surpris par son attaque, avaient perdu la meilleure occasion de le combattre pendant qu’il canonnait les batteries de terre ; mais ils allaient chercher à réparer bravement leur erreur. La plupart d’entre eux étaient à l’ancre un peu au-dessus du fort Saint-Philippe : aussi Bailey, qui ouvrait la marche avec le Cayuga, les vit-il s’élancer sur lui pour l’écraser. Avant même que tous les vapeurs qui le suivaient aient achevé de dépasser ce fort, le Cayuga est attaqué par trois ennemis ; il leur tient tête avec succès : l’un reçoit à trente pas un obus de onze pouces qui l’oblige de se jeter à la côte, où il est abandonné et brûlé ; un autre est désemparé, et au moment où le troisième s’approche, deux canonnières fédérales arrivent au secours de Bailey. C’est l’Oneida, qui vient déjà d’aborder et de couler un navire ennemi, et le Varuna, qui passe bientôt en tête de la colonne assaillante. Ce dernier bâtiment s’aventure trop loin, et, à quelques kilomètres au-dessus de Saint-Philippe, il se voit à son tour attaqué de toutes parts. Le Morgan, commandé par un ancien officier fédéral passé aux confédérés, ravage son pont par un coup d’enfilade. Pendant que le Varuna riposte et désempare ce premier adversaire, un autre confédéré, le Stonewall-Jackson, le prend par le flanc et lui donne deux coups d’éperon qui lui font une énorme voie d’eau. Le Varuna n’a que le temps de se diriger sur la rive pour s’arrêter dans la vase et ne pas couler avec tout son équipage dans l’eau profonde. Cependant l’Oneida vient lui porter secours : il oblige les deux navires confédérés à gagner aussi la côte et recueille l’équipage de la canonnière naufragée.

Le reste de la flotte, arrivé sur ces entrefaites, achevait de disperser ou de détruire les bâtimens légers qui portaient le pavillon confédéré, lorsque parut le Manassas, qui, suivant de loin, remontait le fleuve pour secourir ces derniers. Aussitôt Farragut ordonne à la corvette le Mississipi d’aller le combattre. Avant que ces deux navires aient pu se rencontrer, le Manassas a déjà reçu le feu de deux ou trois canonnières. Le Mississipi descend à toute vapeur sur lui ; mais, au moment d’être abordé, l’agile confédéré évite le coup, frappe lui-même de côté le Mississipi, et, reconnaissant l’impossibilité de continuer la lutte, va vite se jeter sur la berge. Les fédéraux essayèrent en vain de le prendre et de le dégager : le feu du fort Saint-Philippe les en empêcha ; ils le criblèrent alors eux-mêmes d’obus qui l’incendièrent. Bientôt le courant le releva et l’entraîna. Abandonné et enveloppé de fumée, le Manassas descendit lentement le cours du fleuve et, dépassant les forts qu’il n’avait pu défendre, arriva enfin devant la flottille de Porter, à