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Butler se mettait en route trois semaines plus tard. Après avoir reçu, le 23 février, les instructions du président et du général Mac-Clellan, il quittait la baie de la Chesapeake avec une flotte de transport sur laquelle étaient embarquées les troupes qu’il avait levées dans le nord et trois régimens détachés de Baltimore. Il devait en rallier deux autres à Key-West et un au fort Pickens. La traversée fut longue et pénible, et ce n’est qu’après un mois de voyage qu’il débarqua à Ship-Island, où il se trouva à la tête de 13,700 hommes. Farragut l’attendait depuis longtemps et avait profité de ce délai pour organiser ses forces et les préparer à l’entreprise difficile qui leur était confiée. Son escadre se composait de la frégate le Colorado (48 canons), de la corvette le Brooklyn (24 canons), qui bloquait déjà depuis quelque temps le Mississipi, du sloop l’Iroquois (9 canons), rappelé des Antilles, des navires suivans, récemment équipés dans les arsenaux du nord : le Hartford (24 canons), que nous venons de nommer, le Richmond (26 canons), le Pensacola (24 canons), le Mississipi (12 canons), l’Oneida (9 canons), la corvette à voiles le Portsmouth (17 canons), et de dix canonnières : le Varuna (12 canons), le Cayuga (6 canons), le Winona, le Katadin, l’Itasca, le Kineo, le Wissahickon, le Pinola, le Kennebeck, le Sciota, de 4 canons chacune ; ces canonnières étaient toutes des navires de commerce d’un faible échantillon, que la marine avait achetés et transformés, pour la circonstance, en bâtimens de guerre. On donnait en outre à Farragut des machines de guerre d’un genre nouveau, que nous verrons jouer un rôle important dans les combats dont le Mississipi sera le théâtre : c’étaient vingt bricks à voiles, portant chacun un mortier, qui avaient été équipés à l’arsenal de Brooklyn. Ces bâtimens, d’un faible tirant d’eau, jaugeaient de 200 à 300 tonneaux ; une charpente massive en occupait tout le centre, depuis la cale jusqu’au pont, et soutenait une solide plate-forme, au milieu de laquelle se trouvait une plaque tournante portant le mortier. Celui-ci pesait 8 tonnes 1/2 et lançait une bombe de 15 pouces de diamètre. Un certain nombre de remorqueurs étaient attachés au service de cette flottille, que commandait un officier énergique et intelligent, le capitaine David Porter. La flotte de Farragut comptait en tout quarante-six bâtimens portant trois cents canons ou mortiers ; mais elle n’avait pas un seul navire blindé.

C’était au moment où l’avantage immense des navires de ce genre venait d’être démontré par les combats de Hampton-Roads que Farragut allait conduire ses bâtimens de bois sous le feu convergent des forts de la Nouvelle-Orléans. Les habitans de cette ville vivaient dans la plus grande sécurité. Ils prédisaient aux fédéraux le sort de l’expédition anglaise qu’Andrew Jackson avait si bien battue sous leurs murs en 1815. La position de la