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enfin que de la première et qu’il juge avoir tout fait s’il a donné du réel, une copie servile, j’admirerai la patience de l’observateur, l’habileté de main de l’artiste ; mais, quant à l’œuvre, elle ne réussira complètement que dans la représentation du grotesque. Nous ne méconnaîtrons pas qu’en ce genre le roman réaliste n’ait fait et ne fasse preuve tous les jours de verve et d’originalité. Depuis les Crevel et les Birotteau de Balzac, depuis le pharmacien Homais jusqu’aux caricaturés de MM. Malot et Zola, longue serait la galerie qu’on pourrait faire défiler sous les yeux du lecteur ; mais n’y a-t-il donc pas autre chose dans l’homme que de quoi rire et se moquer ? « S’il se vante, je l’abaisse, » nos romanciers n’y font pas faute ; « s’il s’abaisse, je l’élève, » voilà ce qu’ils oublient trop. A défaut de ces mortelles presque divines, les Roxane et les Phèdre, qui retenaient jusque dans le désordre de la passion quelque chose de la sérénité de l’antique, personne enfin ne nous rendra-t-il ces vivantes héroïnes qu’emportaient par-delà les conventions sociales la franchise, l’ardeur plus qu’humaine et l’éloquence brûlante de la passion enivrée d’elle-même, les Valentine et les Indiana ?


FERDINAND BRUNET1ÈRE.



ESSAIS ET NOTICES.
M. ERNEST LEGOUVÉ. — Conférences parisiennes, 4e édition. — Conférence sur Scribe. — Conférence sur H. Samson et ses élèves. — Librairie Hetzel.


Les lectures publiques ou les conférences sont partout à la mode. On en fait en Allemagne comme en Angleterre, en France comme en Amérique ; on y traite de tout, de la botanique, du système solaire, de la religion, de la littérature, des comédies du temps passé et des romans du jour. Pour peu que le conférencier soit ingénieux, disert ou éloquent, il peut se promettre que la salle sera pleine et qu’elle ne lui marchandera pas les applaudissemens. Cet usage, qui nous paraît nouveau, ne l’est pas autant qu’il nous plaît de le croire. L’antiquité l’a connu et pratiqué, les conférenciers d’alors portaient un nom qui sonne mal aujourd’hui et qui jadis n’avait rien d’injurieux ; ils s’appelaient des sophistes, et qui disait sophiste entendait par là tout simplement un homme habile à raisonner et à parler, et toujours prêt à le prouver. A Athènes, à Éphèse, à Pergame, ces virtuoses de la logique et de la parole, ces ténors ou ces barytons du beau langage, annonçaient par des affiches qu’à telle date, dans tel lieu, au théâtre ou au cirque, ils donneraient un concert d’éloquence ; le sujet n’importait guère, il était quelquefois laissé au choix de l’auditoire. Ce fut à l’un de ces concerts