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Daudet, M. Coppée, aux romanciers anglais contemporains, à Dickens en particulier. Il ne leur manquerait, à vrai dire, que ce qui fait la supériorité de Dickens dans ce genre évidemment inférieur, — la puissance d’hallucination poétique, si particulièrement caractéristique de l’imagination anglaise, et surtout cet inimitable accent de l’émotion personnelle et de la souffrance vécue qui, du lointain de sa triste enfance, revenait si souvent aux lèvres de David Copperfield.

Un premier amour né d’une rencontre entre un jeune homme que l’éducation solitaire et la timidité naturelle ont renfermé jusqu’alors dans l’ignorance de soi-même, — une jeune femme que les froissemens de la vie commune avec un mari brutal et vicieux préparaient à succomber au premier mot de tendresse, — la guerre, le siège, la commune pour cadre à ces amours, voilà tout le sujet du roman de M. Coppée, une Idylle pendant le siège. L’intrigue à peine est nouée, les caractères à peine indiqués, comme dans une ébauche rêvée plutôt que fixée ; quelques paysages parisiens clair-semés dans le récit sont d’une touche assez délicate, comme pour faire sentir le poète ; mais les défauts du poète sont aussi ceux du romancier, l’affectation de la simplicité, des minuties de description singulières, tout à côté des images d’une hardiesse plus que poétique, et, ce qui surtout chez un poète est plus grave, une habitude fâcheuse de traduire les émotions du cœur par la sensation plus ou moins exactement correspondante : « le jeune homme s’arrêta brusquement, il venait de recevoir dans l’épigastre un choc violent, pareil à un coup de poing, phénomène nerveux que produit l’émotion violente. » La part faite à la critique, il reste une histoire simple, pour ne pas dire insignifiante, un peu prétentieusement contée ; mais quand donc M. Coppée sortira-t-il de ce genre sentimental et larmoyant où il persiste à se renfermer ?

Le premier roman de M. Alphonse Daudet, — le Petit Chose, — avait été presqu’un succès. Sous la forme de l’autobiographie, c’était la simple histoire, d’ailleurs trop longuement racontée, d’un petit être souffreteux et d’une fragilité plus que féminine, récit qui ne manquait pas, dans son style prétentieux, de certaines qualités d’observation fidèle et d’une émotion peut-être plus nerveuse qu’attendrie. Si nous le rappelons de si loin, c’est que M. Daudet lui-même l’a depuis revendiqué comme un titre, et qu’il ne paraît pas qu’on puisse relever dans son dernier roman, — Fromont jeune et Risler aîné, — d’autres qualités ni d’autres défauts que ceux qu’on pouvait signaler dans le Petit Chose. Pourquoi donc aussi vouloir donner les proportions du volume à ce qui tiendrait si bien dans le cadre de la nouvelle, plus restreint, mais nullement plus modeste, s’il est vrai que ce soit « l’effet d’un art consommé de réduire en petit un grand ouvrage ? » Voilà bien à la vérité le dernier conseil qu’accepteraient nos romanciers. Nous n’en préférons pas moins aux longs romans de M. Daudet quelques légères et vives