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le positivisme est en philosophie. Aussi bien l’une et l’autre doctrine sont-elles sorties du concours des mêmes causes, et les mêmes influences du dehors en ont-elles fait jusqu’ici la fortune ; on ajoutera qu’il est à redouter qu’elles ne menacent l’une et l’autre d’une même et dégradante transformation l’avenir de l’art et de la métaphysique. Quant au roman, c’est là certainement la crainte qu’inspire une étude attentive des plus bruyans de nos romanciers contemporains. Si ce n’était qu’absence de talent, pauvreté de ressources, stérilité d’un jour qui cherchât à se couvrir d’une apparence de doctrine, on en prendrait encore son parti, sauf l’espoir d’une renaissance ; mais c’est pis que cela, c’est préoccupation mauvaise et prétention systématique de bouleverser les règles éternelles de l’art. On peut voir dans un livre de Proudhon sur le Principe de l’art les incroyables rêveries que lui suggéraient sur les merveilles à venir d’une peinture démocratique les œuvres de celui qu’on appelait le maître d’Ornans ; on peut voir chez M. Zola ce qu’il est advenu des mêmes théories dans la pratique du roman, et quels fruits a portés, — ce sont ses propres expressions, — « l’idée d’un art moderne tout expérimental et tout matérialiste. »

Ce que c’est qu’un art matérialiste, on l’entend de reste, et nous en connaissons plus d’un modèle, quoique nous ne sachions pas que jusqu’ici personne eût encore osé risquer l’expression : c’est un art qui sacrifie la forme à la matière, le dessin à la couleur, le sentiment à la sensation, l’idéal au réel, — qui ne recule ni devant l’indécence ni devant la trivialité, la brutalité même, — qui parle enfin son langage à la foule, trouvant sans doute plus facile de donner l’art en pâture aux instincts grossiers des masses que d’élever leur intelligence jusqu’à la hauteur de l’art. On comprend moins aisément au premier abord ce que c’est qu’un art « tout expérimental, » à moins que nous n’y trouvions indiquée d’un seul mot cette prétention contemporaine de faire de l’art avec de la science et, comme on ajoute, avec de l’industrie. Il est certain que nulle autre cause, même sans parler de celles dont l’enchaînement tient la littérature dans une dépendance étroite, mais non pas absolue, de l’état social et politique, n’a contribué davantage à pousser de nos jours le roman dans les voies du réalisme. C’est une imprimerie de papiers peints que M. Daudet a donnée pour cadre à son dernier roman et dont il a mêlé le mouvement de fabrication et d’affaires au développement de son intrigue. M. Hector Malot, qui dans le temps avait fait sous ce titre : Une bonne Affaire, un récit monotone dont le héros, à travers une série d’expériences très compliquées, cherchait la transformation de la chaleur solaire en mouvement, nous a donné depuis, dans un Curé de Province, l’histoire d’un abbé Guillemittes, architecte, imprimeur, banquier, que sais-je encore ? Et c’est plus récemment dans une fonderie de métaux précieux qu’il a placé la scène du Mariage de Juliette et d’une Belle-Mère. Dans le Ventre de