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répression contre une publication faite par un ancien président du conseil, le général de La Marmora, sur la guerre de 1866 ; aujourd’hui c’est contre le pape qu’il demande des coercitions. L’Italie peut bien prendre des mesures, et elle l’a fait, pour empêcher les prédications ou les manifestations qui pourraient se produire dans les églises du royaume contre l’Allemagne. Quand il s’agit du pape, elle est liée elle-même par la loi qui est son œuvre. Elle n’a qu’à dire avec toute la courtoisie possible à M. de Bismarck de veiller à sa propre défense par ses propres armes ; elle pourrait au besoin lui conseiller plus de libéralisme. Ces réclamations allemandes elles-mêmes la placent dans une situation telle que par des apparences de concessions elle tomberait aussitôt dans une sorte de subordination, elle ne serait plus qu’un vicaire de l’empire. Tous ses intérêts d’indépendance sont les garans de son attitude dans ces délicates complications. Elle n’a certes aucune raison de sacrifier à des exigences étrangères une politique qui l’a faite ce qu’elle est, dont elle recueille chaque jour les fruits, et qui trouve sa plus récente, sa plus vive expression dans ces fêtes dont Venise est en ce moment le théâtre.

Oui, en quelques jours, Venise aura assisté à deux spectacles étranges. Hier c’étaient des Italiens, des princes de la famille royale, des ministres, des étrangers, des Français, qui se trouvaient réunis pour inaugurer un monument en l’honneur de Daniel Manin, le dictateur de 1848, le patriote qui a été un des précurseurs de la résurrection nationale, qui est mort avant d’avoir vu sa patrie libre. Aujourd’hui même, dans cette ville de Venise, autrichienne il y a moins de dix ans, c’est l’empereur François-Joseph qui vient rendre visite au roi Victor-Emmanuel, comme pour attester par sa présence dans la cité des doges, par la cordialité de ses rapports avec le souverain italien, la puissance des événemens. Qu’on songe un instant à toutes les vicissitudes que représentent ces deux faits, l’inauguration du monument de Manin et la visite du souverain autrichien ! Si, dans leurs conversations, l’empereur et le roi ont à s’entretenir des communications ou des observations de M. de Bismarck, ils seront certainement de la même opinion, plus qu’ils ne l’auraient été il y a vingt ans !

La révolution qui s’est faite, il y a trois mois en Espagne et qui a rappelé de l’exil le jeune fils de la reine Isabelle, devenu le roi Alphonse XII, cette révolution ou cette restauration a eu l’avantage de s’accomplir par une sorte de mouvement spontané. La monarchie nouvelle n’a eu aucune peine à s’accréditer en Europe ; elle est reconnue partout aujourd’hui, elle a partout ses ambassadeurs, et elle nous a envoyé à Paris, dans M. le marquis de Molins, l’homme le mieux fait par ses opinions, par son esprit, pour jeter un voile sur la maussade diplomatie. espagnole de l’an dernier, pour renouer les vieilles traditions d’intimité entre les deux pays. C’est comme un retour à ce qui existait avant le mois de septembre 1868 ; mais depuis cette révolution