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récemment par un livre de philosophie politique sur l’Esprit nouveau. Intelligence vigoureuse, souvent égarée, toujours honnête, M. Edgar Quinet avait été tenté, lui aussi, par la politique, et ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’en étant un des juges les plus sévères des procédés de la révolution, il se laissait aller à être un révolutionnaire, un apôtre de démocratie radicale. Il avait été un des plus généreux proscrits de l’empire avant de redevenir député à l’assemblée nationale ; mais soyez donc un homme d’un talent sérieux pour qu’à la dernière heure, sur votre tombe entr’ouverte, M. Victor Hugo vienne dire : « La pensée humaine a de très hautes cimes, et parmi ces cimes Edgar Quinet est un sommet ! » Soyez un homme doux, inoffensif, d’un esprit littéraire élevé, pour que M. Gambetta aiguise votre éloge funèbre en citant Danton et vous mette dans son enthousiasme auprès de M. Ledru-Rollin ! C’est donc à cela que vient aboutir une vie d’étude ! M. Amédée Achard n’a pas fait autant de bruit en sortant de ce monde ; il n’a pas moins eu le cortège fidèle et empressé de toutes les sympathies. Esprit aimable et ingénieux, caractère loyal, cœur franc et généreux, il se peignait dans ses ouvrages, dans tous ces romans, Maurice de Treuil, Madame Rose, l’Eau qui dort, et bien d’autres, où il y a la grâce du récit, une fleur d’imagination toute française. C’était le type de l’écrivain galant homme sans envie, sans affectations, aimé de tous, séduisant de verve. M. Amédée Achard est mort, lui aussi, en quelques jours, victime d’une maladie implacable aggravée par une ancienne blessure qu’il avait reçue pour avoir prodigué son courage. Ils s’en vont l’un après l’autre, tous ces fils des générations du temps, hommes publics, philosophes ou conteurs, comme si la France n’avait pas besoin de garder tous ceux qui peuvent l’honorer, la servir et la faire aimer dans les épreuves d’une situation devenue laborieuse.

Les morts passent, la situation reste avec ses difficultés ; elle se lie à ce mouvement européen où la France malgré tout a sa place, n’ayant rien de mieux à faire aujourd’hui que de garder cette place, de suivre la marche des choses en se recueillant et en refaisant ses forces. La France est et reste dans ces conditions où elle ne doit ni fermer les yeux sur les dangers qui pourraient naître de ses fautes, de ses imprudences, ni s’exagérer le premier incident venu et se créer des inquiétudes artificielles. Que le cabinet de Berlin prohibe l’exportation des chevaux allemands sous un prétexte quelconque, parce qu’il aurait supposé, dit-on, le gouvernement français désireux de remonter au plus tôt notre cavalerie, l’Allemagne est bien libre, sur une simple supposition, de se nuire à elle-même, de se blesser dans ses intérêts économiques ; la France n’y est pour rien, ce n’est le signe d’aucune complication plausible, appréciable. La vérité est que, si ces signes reparaissent périodiquement et surtout aux approches de chaque printemps, ce n’est sûrement pas la faute de la France ; c’est parce que, sous des