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portunée ; du reste, un respect presque superstitieux empêchait que rien dans les soins dont on l’entourait ressemblât à de l’impertinence. Tous les jours, quelqu’un venait des mines. Tom Flynn était l’un des plus empressés. — Hawkins avait bien le projet de vous rendre visite aujourd’hui, disait-il en s’appuyant avec toute la désinvolture dont il était capable au fauteuil de mis Nelly, placé sur la vérandah.

En rougissant, miss Nelly secouait la tête. — Si fait, mais il s’est senti malade ;… vous savez, sa santé le tourmente souvent,… ne vous en faites pas de chagrin. Il viendra demain, et en attendant il m’a prié de vous apporter un bouquet avec ses complimens et cet échantillon. — Et le rusé Flynn posait sur la table des fleurs cueillies en route avec un joli morceau de quartz aurifère ramassé le matin dans son propre sluice[1].

— Ne prenez pas garde aux façons de Cyrus Hawkins, mademoiselle, disait confidentiellement un autre mineur. Il n’y a pas de meilleur gars dans tout le camp ; mais il ne sait pas se conduire avec les femmes, il n’a pas vu le monde autant que nous ; n’importe, il a de bonnes intentions. Pendant ce temps, d’autres camarades jouaient le même rôle auprès de Hawkins. — Tu ne peux pas, lui faisaient-ils observer, laisser cette fille s’en retourner à San-Francisco pour y raconter que le seul homme de Five-Forks sous le toit de qui elle s’est reposée ne lui a rendu aucune politesse. Nous ne le souffririons pas. Ce serait mal agir envers le camp et le perdre de réputation.

Frappé par des raisonnemens aussi clairs, le fou courait à la Vallée, où miss Nelly le recevait avec une certaine réserve qui peu à peu faisait place à un redoublement de vivacité non sans mélange de coquetterie.

Les jours s’écoulèrent ainsi : miss Nelly en bonne voie de guérison quant à son entorse, mais en grand péril quant à son cœur, Hawkins de plus en plus embarrassé, et tout Five-Forks ravi frottant les mains en vue d’un dénoûment prochain, inévitable. Il vint, ce dénoûment attendu, mais non pas peut-être tel que Five-Forks l’avait préparé.

On était en juillet ; une nouvelle cavalcade entra dans Five-Forks. Elle venait d’explorer la Vallée-Merveilleuse, et deux capitalistes de l’est, qui se trouvaient parmi les touristes, désiraient ajouter à leurs expériences purement pittoresques quelques renseignemens précis sur les mines californiennes. Jusque-là tout

  1. Le sluice est un canal étroit et long, composé de trois planches et traversé par un courant d’eau, où l’on jette la terre aurifère.