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l’expérience a bien établi, savoir l’apparition certaine de truffes dans les terrains favorables, sous un climat approprié, par le semis de glands pris au hasard sur les chênes de la région. Sur ce point, l’assertion d’un observateur tel que M. Henri Bonnet vaut bien les hypothèses gratuites des hommes qui propageaient hier encore la théorie de la mouche truffigène.

Dans la pensée de quelques-uns des partisans des chênes truffiers, les glands de ces chênes récoltés au pied de l’arbre seraient les véhicules des spores de truffes. Rien ne s’oppose en effet à ce que des granules microscopiques, en les supposant sortis du soi après destruction de leur réceptacle, adhèrent aux anfractuosités de la cupule ou du pinceau de poils qui couvre la pointe du gland ; mais les probabilités les plus grandes sont pour le transport direct de ces spores d’un point souterrain à un autre par l’office inconscient des insectes. En ce sens seulement, les mouches et les coléoptères pourraient avoir un rôle indirect dans la propagation de la truffe ; mais tout cela repose sur une hypothèse et sur une considération accessoire : la présence sur les spores de pointes ou de rugosités pouvant faire adhérer ces germes au corps des insectes qui sortent d’une truffe pour en visiter une autre. La nature ne faisant rien pour rien, ces crampons des spores se présentent comme l’indice possible de leur transport à distance au moyen de quelque cause animée.

Il est temps de sortir des conjectures. Revenons-en au fait brut et positif : production indirecte des truffes par les reboisemens en chênes. Ce fait capital, résultat d’une expérience répétée et prolongée, domine heureusement tous les débats théoriques : le semis direct de la truffe, en le supposant possible, aurait peut-être moins d’importance agricole que la méthode indirecte ; il créerait la trufficulture de jardin, chose désirable pour les gourmets, mais il détournerait des reboisemens, gage anticipé d’une richesse dont la truffe est le premier terme à courte échéance, dont la forêt ou le taillis tout au moins représente les bienfaits dans l’avenir.

Ici se termine la première partie, la plus ingrate, la plus difficile, de notre étude sur la truffe. Associée au sort du chêne, la précieuse cryptogame se dérobera longtemps encore à l’attente impatiente du semeur de glands ; cependant le jour vient où cette moisson souterraine est prête. C’est l’heure de la cueillette, des profits sonnans, pour le propriétaire, pour le commerçant, l’heure des jouissances pour les gourmets du monde entier. Cette période nouvelle dans l’histoire du diamant de la cuisine sera l’objet d’une prochaine étude qui complétera celle-ci.


J.-E. PLANCHON.