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établies. Un truffier de Tullins (Isère) montrait un jour, les larmes aux yeux, à M. Chatin, la belle trifouillère qui lui avait donné 500 truffes en un seul hiver, et qui ne marquait plus depuis quinze ans à la suite du passage des drômains ou rabassiers marrons de la Drôme. Ceux-ci, peu soucieux de l’avenir, avaient tout fouillé jusqu’à la profondeur de la pierre à fi (pierre à feu), sorte de poudingue siliceux. Les faits de ce genre sont très connus dans les régions à truffes : les rabassiers, exploitant leur propre fonds, ménagent la source de leur aisance en ne fouillant le sol que juste à la profondeur voulue, et rejetant pour cela l’emploi des instrumens tranchans ; mais, pour si constans que soient ces fâcheux effets du fouillis intempestif ou du bouleversement des truffières, on pourrait les expliquer autant par la destruction des radicelles des arbres que par celle des filamens mycéliens. Ceci nous ramène donc toujours à l’éternelle question des relations de l’arbre supposé truffier à la truffe qui se développe sous l’influence plus ou moins directe de ce compagnon habituel. Écartons en effet le parasitisme même temporaire, le sort de la cryptogame n’en semble pas moins lié à celui de l’arbre. Que l’on recèpe un gros chêne autour duquel les truffes se récoltaient tous les ans, la fécondité truffière s’arrête ; qu’on écorce l’arbre, qu’on le mutile en lui retranchant de grosses branches, cette fécondité truffière diminue, telles sont du moins à cet égard les idées courantes parmi les truffiers de tout pays : M. de Ferry me les a fait recueillir tout autour d’Apt de la bouche des paysans, notamment d’Antoine Chabaud, rabassier intelligent de la région de Buoux.

On a peine à croire qu’une idée si générale ne repose pas sur une observation juste : la chose pourtant, au dire de M. Henri Bonnet, souffrirait des exceptions. Dans une lettre de cet excellent observateur (décembre 1874), je trouve noté comme fait certain que le recépage d’une plantation de chênes verts dans les truffières artificielles de feu le président Guillibert a non pas arrêté, mais simplement diminué la récolte de la cryptogame. M. Bonnet, adversaire décidé du parasitisme de la truffe, pense que les effets dépressifs, sinon suspensifs, du recépage des arbres sur la production des truffes viennent surtout des changemens apportés par l’opération dans les conditions du milieu. Que le recépage des arbres soit suivi d’une année humide, la truffière ne perdra qu’en partie sa fécondité ; qu’il intervienne au contraire une année sèche ou de moyenne humidité, la truffière souffrira de cette exposition en plein soleil, succédant au demi-ombrage qui semble être une condition favorable à la cryptogame souterraine. « Les arbres, nous écrit M. Bonnet, créent à la terre qu’ils peuplent un climat local et spécial. » —