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épineuses d’être mieux en rapport avec la foudre, et de donner ainsi « des tubercules en abondance et de meilleure qualité ! »

Une autre erreur de l’antiquité sur les truffes, c’est l’opinion que la pituite des arbres (c’est-à-dire quelque exsudation anormale, comme le miellat des feuilles ou la sanie des plaies des branches), entraînée par la pluie dans le sol, y provoquerait une fermentation particulière dont les truffes seraient le produit. Cette hypothèse, émise par Pline à propos de champignons en général, l’a été pour les truffes en particulier par un auteur que cite Ciccarelli et qu’il appelle Christophe Encélius. On pourrait laisser cette hypothèse dormir dans les limbes de l’oubli, si le bon curé de Réoville ne l’avait ressuscitée de nos jours avec une conviction naïve. N’a-t-on pas vu récemment un autre rêveur convaincu, l’abbé Paramelle, se figurer que les truffes sont de simples tubérosités de racines, et qu’on pourrait à volonté en provoquer la production par des lésions artificielles pratiquées sur les radicelles des arbres truffiers !

Ainsi donc création de toutes pièces par l’action combinée des élémens tels qu’on les comprenait alors, terre, eau, air et feu (représenté par la foudre), telle est, en dehors des intuitions plus justes de Théophraste, l’hypothèse dominante chez les anciens quant à l’origine de la truffe et des champignons : les épithètes de gêgènès (fils de la terre) et d’enfans des dieux, qu’on leur appliquait fréquemment, faisaient allusion à cette génération spontanée, dont l’idée se retrouve partout dans les croyances antiques, et qui de nos jours ne livre ses derniers combats que dans le champ de plus en plus rétréci des infiniment petits.

À la place de ces préjugés surannés et délaissés, une théorie vient de surgir qui conteste l’existence de la truffe comme organisme spécial, et n’y voit qu’un renflement morbide, une sorte de galle produite sur les racines des arbres par la piqûre de mouches dites truffigènes. Présentée avec réserve en 1847 par M. B. Robert, botaniste de Marseille, reprise dix ans plus tard comme une découverte nouvelle par un grand producteur de truffes, M. Martin Ravel, de Montagnac (Basses-Alpes), récemment abandonnée par ce praticien, cette théorie a trouvé dans M. Jacques Valserres un défenseur ardent et convaincu. Rarement on a vu défi plus direct à l’évidence lancé et soutenu avec cette verve de polémique qui révèle le journaliste, et cette assurance qui ne peut naître que de l’ignorance des faits ou du mépris des adversaires. L’auteur, qui cite pourtant M. Tuiasne, n’a pas l’air de se douter que l’organisation interne de la truffe, admirablement connue des botanistes, exclut toute idée d’assimilation avec les protubérances que la piqûre d’insectes provoque sur les organes des végétaux : montrer cette différence entre