Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est Schleiermacher, mouvement qui n’a pas été sans influence sur la philosophie allemande elle-même, et notamment sur celle de Schelling et de Hegel. C’est de Schleiermacher que le platonisme a passé en France sous les auspices de Victor Cousin, et l’Université française peut être considérée comme une des dernières incarnations de l’académie platonicienne. Enfin le pays même auquel l’Europe a dû le platonisme renaissant n’a pas voulu que la nouvelle Italie parût avoir moins de dévotion que celle du XVe et du XVIe siècle, et tout récemment les platoniciens italiens, Mamiani à leur tête, célébraient à Rome même dans un banquet platonique, comme au temps des Médicis et de Marcile Ficin, l’immortel auteur du Banquet[1].

Le platonisme de Cambridge a droit à une place d’honneur dans cette histoire. Ce fut le seul moment où la philosophie anglaise prit le caractère idéaliste et transcendant qui distingue toutes les écoles issues de Platon. Ce fut l’horreur excitée par les doctrines de Hobbes qui provoqua un mouvement contraire touchant presqu’au mysticisme chez quelques-uns, et qui dans tous s’inspire d’un généreux platonisme. Le célèbre Gilbert Burnet, dans l’Histoire de son temps, nous a laissé un tableau de ce petit cénacle de Cambridge et le portrait de quelques-uns de ses membres. « Les principaux, nous dit-il, étaient les docteurs Whitcot, Cudworth, Wilkins, More et Worthington. Whitcot était un homme d’une rare modération, doux et obligeant. Il était très zélé pour la liberté de conscience. Dégoûté de la théologie systématique et sèche de son temps, il s’efforçait d’imprimer à ceux qui s’entretenaient avec lui une direction de pensées plus noble et plus relevée ; il leur faisait considérer la religion comme un acheminement vers une nature déi forme, pour me servir d’une de ses expressions. Pour préparer les jeunes étudians à ces sublimes spéculations, il leur faisait lire beaucoup les anciens, et en particulier Platon, Cicéron et Plotin… Cudworth soutint les idées de Whitcot avec un génie admirable et une étendue immense de connaissances. C’était d’ailleurs un homme plein de sagesse et de circonspection. Wilkins joignit ses travaux à ceux de Whitcot et de Cudworth. Il était naturellement porté à l’observation, et ce fut un des grands zélateurs de la philosophie expérimentale. More était franc, ouvert, philosophe chrétien plein de conviction, dont le but constant fut d’établir les grands principes de la religion contre l’athéisme… Pour s’opposer aux progrès de ces dogmes horribles (ceux de Hobbes), les théologiens de Cambridge travaillaient à affermir

  1. C’est le 5 décembre dernier qu’a eu lieu à Rome, sous les auspices de MM. Mamiani, Ferri et Conti, un banquet platonicien, en l’honneur de l’inauguration d’un buste de Platon, considéré comme le plus authentique que l’on possède, et dont la reproduction devait être placée dans la salle de la nouvelle université de Rome.