Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 8.djvu/615

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’enthousiasme du moment tempère, mais qui reparaîtra, si les épreuves viennent. » Dès les premiers revers, dès le lendemain des batailles de Frœschwiller et de Spicheren, il écrivait au général Waubert de Genlis, aide-de-camp de l’empereur à Metz, une lettre qui était un modèle de clairvoyance militaire, qui disait avec précision ce qui restait à faire, et que les événemens ont justifiée point par point. Au moment enfin où, par un acte de l’empereur, qui est à Châlons, le général Trochu devient gouverneur de Paris, que se passe-t-il dans ce monde où il est suspect, combattu, entouré des défiances officielles ? Le ministre de la guerre, le général de Palikao, est tout entier à la passion d’envoyer tout ce qu’il peut ramasser de troupes, l’armée de Châlons, le corps de Vinoy, sur la Meuse : le général Trochu, avec M. Thiers, avec le général de Chabaud-Latour, démontre le danger de l’opération ; il insiste passionnément pour que l’armée revienne sur Paris. Chose curieuse ici, c’est le ministre de la guerre qui, par une sorte de défi, pousse l’empire vers l’abîme où il va disparaître, c’est le général Trochu qui propose, qui défend la seule combinaison par laquelle une révolution aurait peut-être pu être détournée ! Ainsi tout marche, et le jour où une enquête s’ouvre sur ce passé, on croit être dans la justice à l’égard des hommes en négligeant ces traits caractéristiques, en mettant d’un mot à côté du préparateur des désastres celui qui a tout prévu, qui, après avoir été « d’abord porté aux nues, » va échouer comme les autres ; — sans doute parce qu’il s’est associé au 4 septembre !

C’est bien là au fond le dernier mot de l’enquête à l’égard du général Trochu, et, sous une apparente modération, le rapport de M. le comte Daru est réellement une longue accusation recueillant les moindres circonstances, interprétant les plus simples détails, et tout au plus voilée d’atténuations habilement nuancées. Je veux dire que la sévérité reste le ton dominant de l’œuvre. De quoi le général Trochu est-il donc coupable ? Il était, dira-t-on, gouverneur de Paris au nom de l’empire, il s’est enfermé dans une sorte d’isolement hostile sous prétexte de dissentimens avec le ministre de la guerre ; il a laissé s’accomplir le 4 septembre, il s’est associé au gouvernement de la défense nationale, et bien mieux, dépouillant le caractère de mandataire de l’empire, qu’il avait le matin, il s’est trouvé le soir le président de ce gouvernement révolutionnaire qui venait de naître ! — C’était assurément une situation pénible, délicate, pour un homme qui avait l’apparence d’une autorité supérieure dans Paris, et qui sentait qu’il ne pouvait rien dans des conditions où il était à peine consulté, où l’empire ne tenait plus qu’à un accident de guerre. La vérité est qu’au milieu de toutes les péripéties de ces jours troublés le général Trochu n’avait aucune action réelle ;