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Évidemment la vérité a de la peine à se dégager de ce tumulte de souvenirs, de cette multitude de dépositions des ministres ou des députés de l’empire, des hommes de la défense nationale, de tout ce qui eut une ombre de rôle dans ces douloureux événemens. C’est que le plus souvent les uns et les autres s’inquiètent moins de porter simplement leur part d’informations exactes à l’œuvre commune que de représenter les faits à leur manière. M. le duc de Gramont fait de la diplomatie en homme convaincu qu’il a merveilleusement conduit l’affaire Hohenzollern. M. Jean Brunet fait de la stratégie rétrospective en homme qui a tout prévu, qui aurait pu tout réparer, s’il avait été consulté, et M. Crémieux reste persuadé que tout a été perdu le jour où M. Gambetta est tombé d’un ballon à Tours pour lui disputer la dictature, — surtout le ministère de la guerre, auquel aspirait aussi M. Glais-Bizoin ! Vous étonneriez beaucoup un certain nombre de ces témoins pénétrés de leur importance en leur disant que les choses ne sont pas tout à fait comme ils les voient, qu’ils se trompent, qu’ils ressemblent un peu quelquefois à ce chef militaire improvisé prenant des charrues abandonnées sur un coteau pour des mitrailleuses prussiennes ; vous les étonneriez, vous ne les convaincriez pas.

La commission n’a pas vu qu’en procédant comme elle l’a fait, en donnant pour ainsi dire la parole à volonté, elle ouvrait une carrière aux griefs, aux ressentimens, aux passions, aux rancunes, aux préoccupations personnelles, aux fantaisies, au commérage. Par le fait, sans le vouloir, elle a institué une sorte de conférence qui a duré deux ou trois ans, où chacun a pu venir à tour de rôle plaider sa cause ou accuser, recommencer l’histoire ou le roman des derniers jours de l’empire, du 4 septembre, de la défense nationale, du siège de Paris, faire des discours, broder sur les événemens. J’appelais l’enquête un examen de conscience ; oui, un examen de conscience où chacun le plus souvent s’empresse de faire la confession des autres. C’est le général Trochu qui l’a dit avec une spirituelle finesse en parlant justement de beaucoup de ces dépositions. « L’histoire de la guerre écrite, au milieu des passions et des controverses qu’elle a excitées, par les principaux intéressés, pourrait généralement se réduire à ce type uniforme : voilà ce que j’ai fait. Si je n’ai pas réussi, c’est que j’étais mal commandé ou mal secondé. J’avais eu telle conception, on l’a rejetée ou elle a été mal exécutée. J’avais donné tel conseil, on n’a pas voulu l’entendre. En haut, en bas, à l’exception de quelques hommes d’élite (ici on nomme ses amis ou ayant-cause), je n’ai rencontré qu’incertitude et faiblesse ! — Et je prie les hommes de bonne foi de compter ceux de ces historiens faisant leur propre histoire qui avouent des erreurs, des manquemens, des fautes ! .. » C’est aussi vrai que piquant.