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ces événemens ont-ils pu s’accomplir ? Comment s’est-elle vue frappée d’impuissance, désarmée et poussée sur le penchant de l’abîme, cette nation qui se croyait si sûre d’elle-même, si puissamment organisée ? Où sont enfin les coupables et où sont les victimes ? C’est le procès qui s’instruit depuis quatre années, procès de toutes les politiques et de toutes les responsabilités, des institutions, des pouvoirs et des hommes.

Le jour où une assemblée, sortie pour ainsi dire du sein déchiré de la France, s’est trouvée réunie à Bordeaux au 12 février 1871, elle n’a point eu seulement à régler les terribles comptes de six mois de désastres et à chercher les moyens de pacifier le pays, de délivrer le territoire, de payer une colossale rançon : ceci, elle l’a fait courageusement, guidée par le prudent et habile patriotisme de M. Thiers. Elle a voulu de plus, saisie d’une douloureuse impatience de vérité, procéder à l’inventaire du lendemain de la défaite, fouiller dans ce passé dont elle recueillait le fatal héritage et qu’elle avait à liquider. Elle s’est chargée elle-même de la redoutable besogne, elle a institué des commissions presque souveraines. Par degrés, ses recherches se sont étendues à tout, aux opérations militaires, à la politique, à la diplomatie, aux finances, aux marchés et au matériel de guerre, un peu à l’empire, qui était le premier coupable, beaucoup au gouvernement de la défense nationale. L’assemblée a commencé son œuvre à Bordeaux, elle l’a continuée à Versailles, elle n’est même pas encore au bout ; elle a multiplié les rapports avec tout le cortège des témoignages, des documens, des interrogatoires, et à défaut de l’enquête prévoyante qui aurait dû précéder la catastrophe, qui aurait pu sans doute la détourner, on a l’enquête après la catastrophe, sur les faits accomplis et sur des ruines !


I

Une enquête parlementaire, c’est la dernière ressource des circonstances extrêmes, c’est l’acte viril des assemblées surprises par les événemens. Plus d’une fois, dans sa longue carrière de nation libre, l’Angleterre a eu recours à ce moyen héroïque. Elle l’a fait au temps du premier empire, pour la désastreuse expédition de Walcheren, elle l’a fait plus récemment, en 1855, en pleine guerre de Crimée, au risque de divulguer les faiblesses de son organisation militaire et d’embarrasser le gouvernement. L’Angleterre ne craint pas en certains momens de pratiquer sur elle-même ces opérations douloureuses et d’exposer ses misères ou ses mécomptes devant le monde ; mais l’Angleterre est l’Angleterre, la nation la