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sérieuse. Pendant qu’il délibérait sur le choix de cette carrière, le roi Jacques Ier en décida pour lui, et le galant aventurier fut nommé ambassadeur en France à la cour de Louis XIII. Les détails qu’il nous a laissés sur son ambassade ne concernent guère que sa table, sa maison, ses domestiques, ses querelles de préséance et d’étiquette avec les autres ambassadeurs, et nous savons peu de chose du rôle politique qu’il a pu jouer. Entre autres anecdotes, il raconte qu’il donnait le bras à Anne d’Autriche dans le jardin des Tuileries pendant que le roi, chassant à côté d’eux, manqua de tuer sa femme en tirant trop près d’elle. Cependant un événement important vint troubler son ambassade : ce fut la prise d’armes contre les protestans. Sir Herbert proposa la médiation de son gouvernement, qui ne fut pas acceptée. Une lutte avec le connétable de Luynes, à la suite de ces affaires, détermina son rappel. C’est pendant son séjour en France qu’il composa et fit imprimer à Paris même son plus important ouvrage, le De Veritate. Ses mémoires se terminant avec son ambassade, on sait peu de chose des dernières années de sa vie, qui cependant se prolongea encore pendant vingt-cinq ans. Il fit partie du célèbre parlement de 1640 ; mais on ignore le rôle qu’il y joua : il est probable qu’il prit le parti de la neutralité, si dangereux dans les troubles civils. Il survécut à la révolution, et mourut en 1648.

Sir Herbert de Cherbury ne paraissait pas destiné par sa vie mondaine et un peu frivole à un rôle philosophique. Cependant on ne peut lui refuser le nom de philosophe, ni même un rôle plus important en philosophie qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Gassendi et Descartes l’ont connu et estimé, et le savant philosophe écossais Hamilton s’étonne que le nom d’un esprit aussi original « ait échappé à tous ceux qui depuis en Angleterre ont philosophé dans la même direction que lui. » Deux traits caractérisent la doctrine de sir Herbert : avant Buffier, avant Reid, avant Jacobi, il a enseigné la philosophie du sens commun; avant Locke, avant Rousseau, il a professé la religion naturelle. Ainsi cette branche importante de la philosophie du XVIIIe siècle, qui échappe au scepticisme en invoquant les croyances naturelles, et au mysticisme et au surnaturalisme en se bornant aux vérités de raison, a pour précurseur le chevaleresque et frivole courtisan de la cour d’Elisabeth et de Jacques Ier. Il enseignait une conformité naturelle et une sorte d’harmonie préétablie entre les facultés de l’âme et leur objet, c’est-à-dire la vérité; cette conformité, sans pouvoir être prouvée, lui paraissait impliquée dans la foi commune et universelle des hommes. Il ne se contentait pas cependant d’invoquer cet instinct, naturel qui nous fait croire spontanément et sans réflexion à la véracité de nos facultés; il ne disait pas seulement comme Pascal :