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parcourus sur la longueur de ce tablier une partie du pont. La construction est tout à jour, on s’avance sur les traverses et les rails ; à peine a-t-on fait quelques pas que le vertige vous prend, si l’on n’est pas habitué à se promener ainsi à 25 mètres au-dessus de l’abîme. Je fus bien vite obligé de rebrousser chemin. Les couvreurs qui courent sur nos toits auraient seuls pu faire concurrence aux ouvriers du pont, que je voyais aller et venir et travailler avec la plus grande aisance à cette hauteur de six à sept étages et le Mississipi au-dessous d’eux.

A l’époque où je visitai le pont de Saint-Louis, les trains n’y passaient pas encore. Quelques jours après, il était entièrement terminé, et les nombreuses lignes de chemins de fer qui convergent sur East-Saint-Louis prenaient librement cette voie. Auparavant on déposait les voyageurs sur la rive gauche, et des omnibus acquittant un péage parcouraient le tablier supérieur du pont et les amenaient en ville. Avant l’établissement du pont, on passait sur des bacs à vapeur, dont quelques-uns fonctionnent encore et tentent une dernière lutte au moyen d’un péage au rabais. Lors de ma première visite dans ces contrées en 1868, c’est sur l’un de ces bacs que je débarquai à Saint-Louis. Le froid était intense, le fleuve gelé ; la navigation n’en continuait pas moins, car le Mississipi ne se prend jamais tout à fait, tant son courant est rapide à Saint-Louis, à cause même du rétrécissement des rives. A Omaha, le Missouri a 900 mètres de large, à Saint-Louis, le Mississipi, qui vient de recevoir le Missouri, n’en a, nous le savons, que 500. Vers le milieu de décembre 1868, pendant que j’étais encore dans ces parages, le thermomètre s’arrêta une nuit à 25 degrés au-dessous de zéro. Le surlendemain je quittai la ville, et nous descendîmes sur le Mississipi de Saint-Louis au Caire en bateau à vapeur pour prendre là le chemin de fer qui mène à la Nouvelle-Orléans. Le steamboat s’avançait hardiment à travers les glaçons, qui encombraient le fleuve et descendaient avec lui. La coque du navire était comme déchirée par une scie au contact de ces glaçons ; c’était un bruit inquiétant et un ébranlement général. Le capitaine n’en fit pas moins continuer la marche, et les passagers ne semblaient aucunement prendre garde au péril qui les menaçait. La témérité est dans les habitudes des Américains, mais souvent ils la paient cher.

Saint-Louis ne montre pas seulement avec orgueil son pont sur le Mississipi ; cette ville est fière aussi de l’immense parc à bestiaux qu’elle vient de construire sur l’autre rive du grand fleuve, et qui n’a pas coûté moins de 6 millions de francs. Le bétail y arrive des plus lointains états, du fond de l’Arkansas et du Texas. Les compagnies de chemins de fer ont tout prévu pour le transport facile des