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laquelle est annexée depuis 1870 celle de Carondelet, que les Français fondèrent en même temps que Saint-Louis et qu’ils avaient appelée Vide-Poche ; c’est devenu un centre industriel de premier ordre. A gauche, dans une plaine basse, s’étend East-Saint-Louis, ou Saint-Louis de l’est, avec ses nombreuses gares et son parc à bestiaux. Ici commence l’état d’Illinois, que le Mississipi sépare de celui du Missouri. En prolongeant les regards devant ou derrière soi, jusqu’à l’horizon, on voit une campagne verdoyante, coupée du nord au sud par une large bande argentée, un peu. sinueuse, qui simule une eau dormante, mais n’en roule pas moins à la mer une des plus grandes masses liquides qui se meuvent sur le globe.

Le pont sur lequel nous sommes et d’où ce magique panorama se déroule aux regards est le plus hardi en ce genre qui existe, puisqu’il est jeté, au moyen de trois arches seulement, sur un fleuve d’un demi-kilomètre de large, et que c’est le premier pont qui ait été construit entièrement en acier. Le pont d’Omaha sur le Missouri, récemment achevé, et qui fait communiquer les railroads de l’ouest avec celui du Pacifique, a une longueur à peu près double, mais il a environ quatre fois plus d’arches (11 arches, qui ont chacune 76 mètres l/4 d’ouverture), et le tablier n’est élevé que de 15 mètres seulement au-dessus des hautes eaux.

J’ai visité au mois d’août 1874 le pont de Saint-Louis, presque entièrement terminé. L’ingénieur en chef était absent ; il venait d’être envoyé en Europe pour y étudier les travaux exécutés aux embouchures des fleuves à deltas, notamment celles du Rhône et du Danube, et ensuite commencer aux embouchures du Mississipi, qu’on va enfin canaliser, des opérations analogues. L’ingénieur en chef adjoint, M. Flad, le coopérateur zélé de M. Eads, était également hors de Saint-Louis, et ce fut un des ingénieurs ordinaires qui voulut bien me montrer les divers dessins de cet intéressant travail, lesquels forment un immense atlas in-folio, et me donner à ce sujet tous les renseignemens nécessaires. Il fit plus : il consentit à me servir de guide, et je pus descendre, grâce à lui, dans l’intérieur du pont. J’en visitai le curieux treillis métallique qui unit les deux tabliers et ceux-ci aux arches. J’examinai les points où les arches s’appuient sur les piles. Les ouvriers achevaient de donner la dernière couche de peinture au métal pour le préserver de l’oxydation extérieure. J’admirai partout la légèreté de l’œuvre unie à une grande solidité. S’il m’était permis de hasarder une critique, je dirais que le seul défaut que j’y relevai fut le dos d’âne du tablier supérieur : il nuit beaucoup à l’élégance de la construction et à l’harmonie du coup d’œil. Poursuivant mon investigation, j’entrai dans le tunnel sous la ville qui fait suite au tablier inférieur. Je