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transit. Dans le quartier des affaires et des ports, ce ne sont qu’allées et venues de charrettes chargées de lourds colis. Un bruit de sifflet à la fois strident et sourd, comme le beuglement prolongé d’un bœuf sauvage, frappe à chaque instant les oreilles. C’est un remorqueur à vapeur qui s’avance et demande qu’on manœuvre bien vite un des ponts-levis pour que le voilier qu’il traîne puisse passer. Plusieurs navires viennent quelquefois à la file l’un de l’autre. Cette manœuvre des ponts est par momens incessante, de sorte qu’en certains points on a dû ménager des tunnels sous la rivière pour empêcher que la circulation des piétons et des voitures ne soit trop longtemps arrêtée ; c’est en petit comme à Londres sous le tunnel de la Tamise.

Par la rivière qui la baigne et le canal qui réunit celle-ci à la rivière de l’Illinois, Chicago est en communication directe avec le Mississipi et de là le golfe du Mexique. Ce canal n’a coûté aucune peine à établir. La ligne de partage entre les eaux du lac et celles du golfe est tellement indécise que dans les grandes pluies les eaux hésitantes desservent indifféremment l’un ou l’autre bassin. En somme, aucune ville continentale, même en Chine, ne possède un système naturel de communications aussi étendu, aussi bien dessiné et, répétons-le, aussi perfectionné par les hommes. Ceci nous donne immédiatement la clé de l’importance commerciale de Chicago. En 1873, on estimait à 2 milliards 1/2 de francs le montant du commerce d’importation et d’exportation de cette ville privilégiée. Ce chiffre est le tiers de celui de toute la France pour cette même année, et le double de celui des deux plus grandes places de l’Inde, Bombay et Calcutta. En 1873, on a reçu à Chicago 100 millions de boisseaux ou 2,640,000 tonnes de grains et de farines, le huitième de tout ce que l’Union, le quart de tout ce que les états de l’ouest ont produit[1] ; c’est aussi le double de la quantité qui se manipule dans les meilleures années à Odessa ou à Marseille, les deux premières places de l’Europe pour le commerce des grains. Qu’ajouter à ces élémens de succès ? Que 4,260,000 porcs, 845,000 bœufs et 340,000 moutons ont été enregistrés en 1874 dans le parc à bestiaux de Chicago. Depuis que cette curieuse ville existe, les divers chiffres qui témoignent de son importance n’ont cessé d’augmenter d’année en année ; jamais la loi de progression n’a fait défaut sur aucun point, même après le grand incendie de 1871. Où cela s’arrêtera-t-il, et Chicago dépassera-t-elle un jour New-York, comme elle le prétend ? On est porté à rechercher la solution de ce problème, qui se présente pour la première fois aux méditations

  1. Voyez, sur la production agricole des États-Unis, le remarquable et patient travail de M. Samuel B. Ruggles, Tabular Statements from 1840 to 1870 of the agricultural products of the stales and territories, New-York 1874.