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était propre à leur inspirer des ombrages et des alarmes. Condamnés par la force même des choses à ne faire que des guerres défensives, ils ne pouvaient accepter aucune clause qui tendît à les entraver dans la libre disposition de leurs moyens de résistance, et ils s’inquiétaient d’entendre dire qu’on ne peut limiter les droits de l’attaque qu’en réduisant ceux de la défense, et qu’il est bon de régler les inspirations du patriotisme. A plusieurs reprises, la Belgique, la Hollande, la Suisse, durent formuler des réserves, rappeler par des déclarations expresses que les petits états libres ont des conditions particulières d’existence, et qu’ils voient dans chacun de leurs citoyens un soldat d’occasion. Elles furent appuyées dans leurs protestations par la Suède, par l’Espagne, par la Turquie, par toutes les puissances à qui le métier de conquérant est interdit. La France eût plaidé plus souvent leur cause, si elle n’avait été préoccupée de se défendre contre le soupçon de trop se souvenir ou de trop prévoir. L’Italie se prêtait à toutes ces controverses avec sa bonne grâce ordinaire, où il entre beaucoup de facilité d’humeur et un peu de scepticisme. L’Autriche ne parlait guère, mais on peut croire qu’elle n’en pensait pas moins. Quant à la Russie, qui présidait, elle s’acquitta de ses difficiles fonctions avec une prudence et un tact consommés, avec une attention patiente et équitable, s’appliquant à prévenir les conflits, à concilier les oppositions, à contenter tout le monde sans trop se mécontenter elle-même.

« Nous sommes d’honnêtes gens qui avons travaillé de concert à une bonne œuvre, » disait le 27 août M. le baron Jomini en déclarant la session close, et la conférence méritait sans contredit qu’on lui rendît ce témoignage. Malheureusement, si laborieuses qu’eussent été les discussions, la bonne œuvre à laquelle on avait travaillé avec tant de bon vouloir était médiocrement avancée. Pour faciliter une entente, on s’était décidé à n’enregistrer que les résolutions adoptées d’un accord unanime et à consigner dans les protocoles toutes les réserves, toutes les objections qui s’étaient produites. Encore avait-il fallu trouver pour les articles sur lesquels on ne désespérait pas de s’entendre une rédaction transactionnelle, c’est-à-dire le plus souvent une rédaction obscure, un peu louche, que chacun était libre de commenter et d’interpréter à sa guise. En définitive, on savait que sur beaucoup de points il était impossible de s’entendre, mais il n’était pas sûr qu’on s’entendît sur les autres. Aussi, en se séparant, la conférence ne pouvait déférer aux gouvernemens le projet émané de ses délibérations qu’à titre « d’enquête consciencieuse de nature à servir de base à un échange d’idées ultérieur. »

Par une circulaire en date du 26 septembre 1874, la chancellerie russe engageait les gouvernemens à examiner les actes et les protocoles de la conférence de Bruxelles et à lui faire savoir ce qu’ils en pensaient.