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peuplées; elle est gouvernée par un président assisté de ses ministres, dépositaire du pouvoir exécutif. Le pouvoir législatif y est exercé par une chambre et un sénat, élus par les quatorze provinces et se réunissant à Buenos-Ayres. En dehors de ces pouvoirs nationaux, chaque province élit un gouverneur, une chambre des députés et un sénat, chacune a son budget particulier et même sa constitution, qui, sans s’éloigner beaucoup de la constitution nationale, peut cependant en différer sur certains points. Le jeu politique de ces institutions est très compliqué. Le remplacement annuel et par tiers des députés et des sénateurs aux assemblées de chaque province et de la nation, l’élection de quatorze gouverneurs tous les trois ans et d’un président tous les six ans mettent en éveil des compétitions nombreuses, soulèvent des jalousies de partis, agitent le pays autour de personnalités souvent mal définies, et font de la politique une préoccupation de tous les instans qui distrait les citoyens de leurs affaires privées, et fait ajourner les progrès industriels et les grands travaux publics.

De toutes ces élections, la plus grave en conséquences est l’élection présidentielle, dont les autres ne sont du reste politiquement que la préparation; mais c’est aussi la plus périlleuse en raison de la complication étrange de ses rouages, qui, amenant pendant une année à chaque trimestre une phase nouvelle, constitue pour le travail, pour la production, une année gaspillée, pour le commerce une année d’inquiétudes journalières, arrête l’essor des capitaux, le mouvement des affaires, et occasionne forcément une crise périodique au sein même de la prospérité.

On aurait pu croire que ces complications inextricables de formes seraient sans danger sérieux, étant donné l’état actuel de la république argentine. Ici, plus que partout ailleurs peut-être, il est possible de dire que la liberté est fondée ; pas de desideratum politique qui ne trouve satisfaction dans la nouvelle constitutions provinciale de Buenos-Ayres et dans la constitution nationale. Les principes pour lesquels en Europe nous avons combattu pendant des siècles ont été inscrits sans discussion dans ces constitutions, tombées des cieux au milieu d’un peuple assez heureux pour pourvoir tout fonder sur une terre vierge sans être encombré des ruines du passé. Malheureusement, si les questions de principes ne divisent plus personne, l’esprit de réforme, resté sans emploi, a fait place à l’esprit d’ambition. Dans cette société profondément démocratique et aussi profondément républicaine, où l’homme se forme à sa guise, s’instruit comme il peut, n’existe que par son travail personnel, ne compte que sur ses propres ressources, tous par un sentiment d’égalité dangereuse ont une égale ambition, et tous la