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tandis qu’elle n’est pas de la moitié chez nous, cela s’explique par le taux encore plus élevé de l’intérêt des capitaux mobiliers en Roumanie et dans tout l’Orient, où, ne se débattant guère au-dessous de 12 pour 100, il monte parfois même aux chiffres les plus usuraires. C’est en général aussi par le manque de capitaux que l’on y est arrêté dans l’entreprise des grandes améliorations agricoles. Il en est ainsi pour l’aménagement des forêts et le reboisement, les endiguemens et les desséchemens dans certains districts, l’établissement de canaux d’irrigation et de rigoles, le forage de puits, dans d’autres. Or l’exécution de travaux pareils et la création de prairies artificielles sont des conditions sans lesquelles on entreprendrait vainement l’amélioration générale du bétail, même dans un pays aussi riche en pâturages naturels. Aussi le besoin d’un bon régime hypothécaire et de bonnes institutions de crédit agricole se fait-il vivement sentir. Il est vrai que depuis peu une société nationale de crédit foncier, organisée sur le modèle des établissemens de même nature qui fonctionnent depuis longtemps en Prusse, s’est formée et a commencé ses opérations avec succès. Seulement il est douteux qu’elle ait le pouvoir et les moyens d’attirer de l’étranger assez de capitaux pour se mettre complètement à la hauteur de son rôle.

Ce qui ne fait pas moins défaut que l’argent, c’est l’influence salutaire de l’exemple, la présence de colons plus instruits et plus avancés. A cet égard, les Roumains se-méprennent sur leur intérêt véritable. L’aspect séduisant des villages encore aujourd’hui si florissans du voisinage de Kronstadt, en Transylvanie, qui peuvent soutenir la comparaison avec les plus beaux de l’Europe occidentale, ne les a pas tentés. Ils sont restés sous l’impression des vues étroites d’un esprit national trop exclusif qui proteste contre toute immigration de colons étrangers. L’article 3 de la constitution en vigueur dit formellement : « Le territoire de la Roumanie ne peut être colonisé par des populations de race étrangère. » Dans la pratique, il est vrai, l’établissement de coreligionnaires tels que les Bulgares et les Serbes dans les campagnes roumaines est moins entravé. L’application rigoureuse de la loi ne barre le chemin qu’aux colons de race et de religion différentes ; mais cela équivaut à l’exclusion des émigrans qui pourraient se rendre le plus utiles à l’agriculture roumaine, des Allemands, des Suisses et des Italiens, le paysan français n’émigrant pas. Cette législation est précisément le contre-pied de celle à laquelle les États-Unis doivent leur merveilleuse prospérité et le rapide accroissement de leur puissance. On a peur en Roumanie d’être inondé et submergé, oubliant que le pays, avec l’extension et l’amélioration de ses cultures, nourrirait aisément le double et même le triple de la population actuelle. Cette crainte est chimérique. Le mouvement d’émigration