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où ils se fondirent avec les vaincus; il en est certainement aussi beaucoup dont on peut faire remonter l’origine aux colonies encore plus anciennes que les Romains, bien auparavant déjà maîtres de la Macédoine, de la Thrace et de la Mœsie (Bulgarie et Serbie de nos jours), avaient dès lors multipliées dans ces provinces.

Il est assurément très remarquable que ce peuple, malgré les plus grandes vicissitudes et le contact perpétuel avec des élémens étrangers, slaves et tartares, grecs et turcs, ait pu conserver aussi pleinement l’empreinte de son origine première, même sous le régime avilissant des princes fanariotes et les rigueurs du joug ottoman. Or le témoignage vivant de cette origine ne se trouve pas seulement exprimé dans son idiome à base toute latine par une multitude de noms propres et communs de son vocabulaire, il se retrouve aussi dans certains traits frappans de la physionomie générale, du caractère et des mœurs des Roumains, dans certaines de leurs coutumes nationales et locales, même dans l’attachement des populations rurales à d’anciennes fêtes romaines. A Bucharest, une danse très curieuse, celle des calouschares (petits cavaliers), s’exécute tous les ans à la foire de mosch ou des ancêtres devant le prince et sa cour et tout le peuple. Or la danse, comme la fête elle-même, repose sur une tradition des plus vénérables, s’il est vrai, comme on l’assure, qu’elle est une imitation de celle des anciens prêtres saliens. Ces souvenirs de l’antiquité frappent dès que l’on approche de la Roumanie par le Danube et les fameux rapides dits Portes de Fer, dans le nom des bains d’Hercule à Méhadia, près d’Orsova dans le Banat, où le gouvernement autrichien a remis en vogue un établissement thermal des plus fréquentés du temps des Romains; ils reparaissent un peu plus loin à Turnu-Sévérin avec les vestiges d’un pont jadis construit sur ce fleuve par Trajan. Dans les villages, la charrue romaine est encore l’instrument aratoire du paysan, et le fuseau dont se sert la fileuse nous reporte même, comme en Sicile, jusqu’à l’âge héroïque de la Grèce.

Il n’est pas facile de résumer les traits généraux du caractère national des Roumains. Leur état social n’est comparable à celui d’aucun peuple de l’occident et du centre de l’Europe; il n’offre d’analogie qu’avec ce qui existe en Pologne et surtout en Russie. En Roumanie, la population indigène est séparée en deux parties, très inégales et très dissemblables, formant chacune comme un monde à part. L’une comprend, dans la proportion des neuf dixièmes, les paysans, la grande masse du peuple, inculte et ignorante, n’ayant qu’une notion vague et confuse de la civilisation de l’Occident. L’autre, un dixième de la nation tout au plus, mais qui en forme la couche supérieure et qui, dans l’action politique et sociale, apparaît partout sur le premier plan, compte dans ses rangs toute l’aristocratie