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jetez tout plutôt, mais hâtez-vous, de grâce, vous pourriez arriver trop tard ! Peu importe que vous ayez les mains vides. Arrivez seulement ! Vous ne le regretterez pas… C’est le plus beau pays, l’air le plus pur… Je ne puis le décrire, aucune plume n’en viendrait à bout,… et il se peuple rapidement… On y afflue de partout. J’ai des projets immenses, je vous y associe, j’y associe tous mes amis, il y a place et profit pour tout le monde. Chut surtout ! Discrétion est le mot d’ordre. Vous verrez,… venez, précipitez-vous, ne perdez pas une minute ! »

— Il est toujours le même, hein, Nancy ? toujours le même ?

— Oui, il n’a pas changé de ton. Et tu persistes à le rejoindre ?

— Parbleu ! c’est affaire de chance naturellement, et la chance ne nous a pas été souvent favorable, je le reconnais, mais, quoi qu’il arrive, l’avenir des petits est assuré ici, Dieu en soit loué !

— Ainsi soit-il, soupire la mère avec ferveur. — Et la famille Hawkins fait ses préparatifs de départ pour s’enfoncer une fois de plus dans l’inconnu.

Rien de pénible comme les longues étapes de ce chariot d’émigrans à travers les forêts, sur des routes à peine frayées. La première partie de l’itinéraire est marquée par un épisode touchant qui fait ressortir le plus beau côté de la vie d’aventure : une imprévoyance généreuse, l’empressement à s’entr’aider sans calculer ses moyens ni ses forces.

Après trois jours de route, les voyageurs pensaient à leur campement quand ils se trouvèrent devant une cabane isolée. Hawkins arrêta son attelage et franchit le seuil, sur lequel un garçon de dix ans était assis, le front entre ses mains. Au bruit que fit l’étranger, il ne bougea point. — Allons, gamin ! lui dit Hawkins, on ne s’endort pas avant le coucher du soleil.

Le petit visage, caché jusque-là, se leva lentement ; il était inondé de larmes.

— Je te demande pardon, mon enfant. Tu as du chagrin ?

Le jeune garçon fit un signe affirmatif et s’écarta pour le laisser passer, puis il reprit sa première attitude.

Hawkins était entré dans le misérable taudis. Cinq ou six paysans des deux sexes s’y groupaient au milieu de la chambre ; affairés, mais sans bruit, ils se parlaient tout bas ; sur deux chaises sans dossiers reposait une bière, et ils venaient d’y déposer le corps d’une femme. L’un d’eux, désignant à l’étranger le petit malheureux qui pleurait, dit : — C’était sa mère. — Ces braves gens, réunis pour rendre les derniers devoirs à leur pauvre maîtresse d’école, s’intéressent au petit Clay, mais ne savent comment faire pour le nourrir, étant eux-mêmes dans le besoin. Hawkins comprend les regards