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dans l’antiquité la tendance constante de tous ces travaux scientifiques est de substituer la connexion naturelle des phénomènes successifs à l’action capricieuse des dieux de la mythologie païenne, aux interventions arbitraires, incalculables, de la puissance divine telle que la conçoit l’orthodoxie chrétienne. Le miracle et la science sont ennemis-nés. C’est donc au fond le prolongement de cette tendance, vieille comme la science elle-même, que l’effort de plus en plus marqué des naturalistes modernes vers une conception des choses qui soumet à la même loi de continuité l’origine des espèces végétales et animales. Inauguré par de Maillet, vigoureusement développé par Lamarck, repris et considérablement enrichi par le D r Wells (1813), de nos jours par MM. Darwin, Wallace, Huxley, ce point de vue ne compte plus aujourd’hui ses conquêtes, et Agassiz, qui lui fut d’abord si contraire, dit lui-même à Boston à l’auteur du discours de Belfast : « Je l’avoue, je n’étais pas préparé à voir cette théorie reçue comme elle l’a été par les meilleures intelligences de notre temps. Le succès en est plus grand que je ne l’aurais cru possible. »

Cette théorie n’est nullement isolée dans la science contemporaine; elle a pour parallèle la grande généralisation physique connue sous le nom de théorie de la conservation des forces. Depuis longtemps, la science affirmait l’indestructibilité de la matière, et toutes les expériences lui donnaient raison; aujourd’hui nous pouvons affirmer de même l’indestructibilité de la force. Le règne animal, comme le végétal, révèle tout aussi bien que le règne inorganique ce principe dont les conséquences philosophiques sont à peine entrevues à l’heure où nous sommes. La psychologie est appelée à se renouveler entièrement, parce qu’elle doit désormais tenir compte de la masse de matériaux fournis par la physique et la physiologie. C’est à M. Herbert Spencer que revient l’honneur d’avoir, il y a déjà vingt ans, cherché à organiser la psychologie sur ses nouvelles bases. Par exemple, on peut se rendre compte de la formation distincte de chacun de nos sens en partant de la sensibilité vague répandue sur toute la surface des êtres organiques inférieurs et en montrant que chacun de ces sens distincts n’est qu’une modification du sens primordial et général du toucher (ce que Démocrite avait déjà deviné), ou, si l’on veut, la différentiation spéciale et locale d’un seul et même tissu. Un tissu sensible se trouve modifié localement de manière que le mode de sensibilité varie, voilà plusieurs genres de sensation et plusieurs sens. De même l’instinct avec toutes ses merveilles est la résultante de deux lois, celle qui fait l’aisance, la sécurité des mouvemens devenus inconsciens par l’habitude, et la loi d’hérédité, qui transmet aux descendans les aptitudes possédées par les ancêtres. C’est encore une grande généralisation