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humaine qui vous demande la continuité logique entre les mouvemens moléculaires et les phénomènes de la conscience. Il y a là un rocher contre lequel le matérialisme se brise fatalement toutes les fois qu’il se pose en philosophie complète de la nature. Quelle morale tirer de tout ceci, mon lucrétien? Ni vous ni moi ne nous laisserons aller à l’aigreur en discutant ces grandes questions, où nous voyons qu’il y a tant de place pour d’honnêtes différences d’opinion; mais des deux côtés il existe des gens moins sensés ou plus bigots (je le dis en toute humilité), toujours prêts à mêler la colère et l’injure à ce genre de débats. Il est, par exemple, des écrivains de marque et d’influence qui n’ont pas honte de présumer que le péché personnel d’un grand logicien est la cause de son incrédulité à l’endroit d’un dogme théologique, et il en est d’autres voulant absolument que nous, qui chérissons notre Bible, ce livre passé en quelque sorte dans la constitution de nos ancêtres et par là dans la nôtre, nous soyons nécessairement des hypocrites et des menteurs. Désavouons, décourageons cette espèce de gens, et nourrissons la foi inébranlable que ce qu’il y a de bon et de vrai dans nos argumens à tous deux subsistera pour le bien de l’humanité, tandis que ce qui s’y trouve de mauvais et de faux disparaîtra. »

« Je prétends, ajoute M. Tyndall, que le raisonnement de l’évêque est irréfutable et que son libéralisme offre un bel exemple à suivre. »

On voit par ce fragment combien il serait injuste de ranger M. Tyndall parmi les partisans d’un matérialisme absolu, fermé aux réclamations les mieux fondées du spiritualisme. Il est certain au contraire qu’un spiritualiste de l’ancienne école, maintenant sa thèse essentielle, mais trop amoureux du vrai pour nier les évidences de la thèse opposée, serait sinon d’accord, du moins disposé à conférer avec lui sur les moyens d’arriver à des notions plus compréhensives de la réalité; mais cette position modeste, expectante, ne convient jamais aux esprits absolus, qui, en religion surtout, prennent feu et s’irritent dès qu’un point de vue nouveau, contrariant pour eux, se fait valoir. Ce discours de Belfast provoqua tout un déluge de dénonciations et d’anathèmes. Les journaux, les chaires, les conférences pieuses retentirent de clameurs indignées. Un détail assez comique de cette controverse passionnée, c’est que certains adversaires de M. Tyndall ne saisirent pas ce qu’il y avait d’humoristique et d’ingénieux dans la réplique fictive mise dans la bouche de l’évêque Butler et la prirent pour une citation empruntée au vénérable prélat lui-même, tant il leur semblait impossible que le même homme pût envisager avec impartialité les deux faces de la question. Il y eut même un naïf négociant de Londres qui crut faire œuvre pie en tirant